First Cow, Kelly Reichardt

Récompensé par le Prix du Jury du Festival de Deauville 2020, le film de la réalisatrice américaine (2h02, et pas une minute d’ennui) Kelly Reichardt (déjà couronnée par le Grand Prix du même festival en 2013, pour Night Moves), First Cow est un western sans la moindre mort par balle, sans le moindre duel final, bref un western atypique, totalement captivant et réussi (adaptation du roman The Half-Life de Jonathan Raymond). Le début est une surprise énorme, indéchiffrable en un premier temps, et qui une fois le film fini, prend tout son sens. Car la première séquence est on ne peut plus actuelle et on est loin du XIXe siècle dans lequel la réalisatrice nous envoie presque aussitôt, et sans transition, pour suivre un homme qui, dans une forêt de l’Oregon, ramasse des champignons. Le pauvre bougre n’a pas l’air bien courageux ; entendant un bruit derrière lui, il prend peur et rentre en courant au campement, où il retrouve une bande d’hommes assez peu chaleureux qui lui rappellent qu’il est le cuistot de l’équipe et qu’il est payé pour les nourrir. Ces vendeurs de fourrures n’ont plus rien à manger et il n’y en a pas un pour aider Cookie Figowitz, ils en viennent régulièrement aux mains à la moindre dispute, se menacent à tour de bras des pires châtiments, et Cookie n’y échappe pas. Reparti en forêt pour y chercher pitance, Cookie tombe sur un homme caché dans les fougères, entièrement nu. Il a faim. Cookie retourne au campement, lui rapporte le peu qu’il trouve à manger, un peu de gnôle et une couverture. La nuit tombée, il revient le chercher et le fait dormir dans sa tente.

Les deux hommes se retrouvent quelques jours plus tard, dans un avant-poste où Cookie s’est arrêté, laissant s’éloigner sans lui ses amis chasseurs d’animaux sauvages. Cette fois, c’est au tour de King-Lu d’inviter Cookie chez lui, où il lui offre de partager une bouteille. Les deux hommes sont désormais amis et Cookie abandonne sa tente pour s’installer dans la modeste cabane de King-Lu. Sans un sou, les deux hommes assistent à l’arrivée par la rivière et sur un radeau d’une vache (la première vache introduite en Amérique et qui va devenir un personnage important du film), qu’un notable s’est offerte. Un soir, l’idée de lui voler un peu de lait pour cuisiner quelques beignets vient à Cookie (le bien-nommé), puis King-Lu y voit l’occasion d’en faire un commerce. Les deux hommes vendent leurs délicieuses pâtisseries à des amateurs de plus en plus nombreux et l’idée leur vient d’amasser assez d’argent pour ouvrir un hôtel en ville.

Chronique paisible de la vie dans la nature, nature magnifiée par la caméra de Kelly Reichardt, de la vie simple et des gestes du quotidien, beau film sur l’amitié entre deux hommes, First Cow n’en reste pas mois un western dans lequel la violence et le danger ne sont pas absents. Mais c’est toujours avec finesse que la réalisatrice règle les « problèmes » que pourraient lui poser la narration d’une intrigue qui la feraient sortir du regard poétique, non dénué d’humour, qu’elle a choisi de porter sur la situation (nature, relation entre les deux hommes, jusqu’à la façon de traire de Cookie) et la chasse à l’homme qui s’organise à la fin du film ne nous donne à voir que deux fuyards, quelques hommes armés. Pas d’effusion de violence. Le générique de fin tombe sur une dernière scène, paisible, bucolique, sur la promesse de King-Lu à Cookie, « Je ne vais pas te lâcher ». Le début du film nous revient à l’esprit, la citation de William Blake qui l’ouvre aussi : « L’oiseau a son nid, l’araignée sa toile, et l’homme l’amitié ». Il est bon que des femmes s’emparent du genre très masculin du western, qu’elles nous narrent des histoires qui n’ont pas été racontées par les amateurs de revolvers et de duels. Loin des Sept Salopards de Tarrantino et de ses joyeuses et grand-guignolesques effusions d’hémoglobine, First Cow est un magnifique hommage à la lenteur, sans qu’à aucun moment cette lenteur n’endorme le spectateur. Après deux heures d’un film plein d’humanité, à la photographie somptueuse, on sort de la salle heureux et certain d’avoir vu un futur grand classique.

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