L’Ange des ténèbres, E. Sabato

Borges et Sabato, frères d’encre

Chroniquer un livre dont on pourrait dire qu’on n’y a rien compris, un défi ? Sans doute. Commençons par le titre : mais qui est-ce donc que cet ange des ténèbres ? On y reviendra peut-être un peu plus loin, si le texte nous le permet… ça commence mal ! Passons. Dernier opus d’une trilogie qui constitue l’oeuvre intégrale de Sabato, L’Ange etc… est sans doute un roman exceptionnel. Albert Bensoussan, dans une préface qu’on lit en l’oubliant aussitôt (deux lectures, deux amnésies) se réfère à la fin du livre pour dire que Sabato n’a pas manqué son rendez-vous (citation : « La vie est un continuel rendez-vous manqué. »). Il parle également de la structure du roman : « Dans un désordre organisé qui n’est pas sans rappeler le tumultueux bureau d’un romancier dépassé par son oeuvre – car il sait bien que Don Quichotte est infiniment plus grand et réel que Cervantès -, Sabato convoque ses créatures pirandelliennes… ». C’est tout à fait ça : pas de chronologie, des personnages à foison, qui apparaissent sans se présenter, ou sans être présentés, un « personnage » qui a bien existé dans la vie et qui se mêle à ses personnages de fiction, l’auteur lui-même, des personnages qui reviennent (ils étaient déjà présents dans les deux premiers tomes de la trilogie), une intrigue qui se rit de l’intrigue, un foisonnement de thématiques qui divergent (science, littérature, réalité et spiritisme, liste non exhaustive) et au milieu de tout ça, les ténèbres. On en passe et des meilleures. A lire ce texte, qu’on renonce rapidement à maîtriser, à comprendre, à lire ce texte qui résiste, à lire ce texte face auquel on se fait modeste, qu’on a envie de lâcher sans se décider à le faire vraiment, on pense à Claude Simon, qui met si souvent la raclée au lecteur, on pense à James Joyce, balades en ville, balades dans des crânes, on pense à Sartre, et on se demande bien pourquoi, sinon que Sabato semble le vénérer, et on se demande toujours pourquoi, on pense à Borges, les deux hommes étaient amis et font figure de grands maîtres de la littérature argentine, de leur époque (lire leurs entretiens, fascinants), bref on pense à de grands noms, qu’on les aime ou non. Ici, on aime la littérature sud-américaine, on pensera donc à Borges. Les deux écrivains ne pouvaient pas être rivaux : ils n’avaient pas choisi le même terrain de jeu, le même format, ni les mêmes références. Mais, ô surprise, Sabato à qui le Nobel n’a ni été promis ni été donné aurait pu le briguer, si son oeuvre avait été plus prolifique. On s’égare… L’Ange des ténèbres est un modèle de littérature, un modèle d’art et de recherche : un livre à lire et relire, tout comme Le Tunnel et Héros et tombes, un livre impossible à mémoriser, à apprendre par cœur, un livre ovni, qui mérite sa place au cœur des Grands Romans de la littérature mondiale et nous n’en dirons pas plus pour le moment, car il vaut sans doute mieux lire ce livre qu’en parler. Ou comment dire du bien d’un roman qu’on n’est pas sûr d’avoir aimé tout en l’admirant. Lisez-le, même si vous n’êtes pas certain, tout comme l’auteur de ce « compte rendu », d’être à la hauteur de l’auteur.

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