Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas, Imre Kertész

Monologue plein de souffle et d’une énergie vitale paradoxale puisqu’il prononce une « prière » à un mort(-né), à un enfant refusé avant même une conception refusée, Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas d’Imre Kertész est un court texte (150 pages) qui se lit en apnée, pour le seul plaisir de l’acte de lire la prose géniale d’un auteur qui a consacré son travail d’écrivain à affronter son passé de déporté (Auschwitz), de survivant (Auschwitz) et d’intellectuel qui prouve qu’on peut encore écrire après les camps d’extermination, qu’on peut encore penser après les camps d’extermination et qu’un ancien déporté (Auschwitz, Buchenwald) peut affirmer que, oui, Auschwitz peut s’expliquer. Car ce qui ne s’explique pas, selon Kertész, ce n’est pas Auschwitz, mais le bien, les hommes de bien (un instituteur qui dans un train en direction des camps lui donne sa part de nourriture quand il aurait pu, dans une logique toute inhumaine justifié par le système de déshumanisation propre au IIIe Reich, la garder pour lui et doubler ainsi ses propres chances de survie – mais l’instituteur affaibli avait sans doute une raison supérieure de ne pas faire ce que la logique de survie individuelle aurait voulu lui dicter de faire) alors que le mal, lui, s’explique aisément. Et c’est pourquoi, dit-il, seuls les Saints l’intéressent vraiment. En dehors de cela, Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas est un texte littéraire d’une portée incroyable, un chef-d’œuvre de style, de la grande littérature, un chef-d’œuvre de réflexion, et un requiem qui va au-delà de son propos, expliquer pourquoi l’auteur n’a pas pu donner la vie à un enfant quand sa femme le lui demandait, un texte qui, comme le dit la quatrième de couverture « pleure l’humanité toute entière ». C’est aussi un texte dans lequel l’auteur narre la souffrance qui fut la sienne, celle d’un homme blessé à mort, qui ne se remit sans doute jamais de ce que l’Allemagne nazie lui aura fait vivre, l’horreur concentrationnaire, et qui, vivant dans un pays dictatorial (la Hongrie d’avant 1989), passa son existence à travailler, pour exister – mais ce n’est pas si simple que cela car l’aporie s’en mêle aussitôt -, sans jamais se montrer capable de vivre, ce que lui reprochera doucement sa femme au moment où elle n’aura d’autre choix que de le quitter, elle qui plus jeune que lui ne connut pas les camps, pour vivre et donner la vie, pendant qu’Imre Kertész ne pouvait que s’enfermer pour écrire et récrire une souffrance qui ne le quittera jamais, dans une œuvre que viendra couronner le Prix Nobel en 2002. Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas d’Imre Kertész est de ce point de vue un texte indispensable, à lire pour honorer la mémoire des hommes et des femmes qui ont subi l’Holocauste, qu’ils en soient revenus ou non, à lire pour ne pas oublier, à lire enfin, et c’est heureux, pour le plaisir de découvrir – ou entretenir un lien déjà existant avec – un immense écrivain.

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