Profession romancier, Haruki Murakami

Haruki Murakami est un écrivain sympathique. Après son Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, bien longtemps après, il fait un retour sur sa carrière d’écrivain dans un nouvel ouvrage (datant de 2015, déjà), Profession Romancier, non sans revenir sur des aspects de sa carrière qu’il a déjà fait connaître à ses lecteurs. Essai, autant qu’autobiographie professionnelle, ce texte est à vrai dire un recueil d’articles dont un certain nombre ont été publiés dans la presse avant même d’être regroupés dans un seul et même livre et donnés à lire à ses lecteurs. Alors pourquoi avoir choisi de lire ça, c’est sans doute la première question que je devrais me proposer d’élucider et à laquelle, soyons honnête, je n’ai pas de réponse, sinon qu’Haruki Murakami est un écrivain sympathique. Hélas, pour le reste, trouver dans Profession Romancier des raisons d’en conseiller la lecture semble peu aisé. Passons sur le premier « chapitre », dont la première phrase est un aveu de faiblesse : « La question du roman serait, je crois, un sujet trop vaste pour commencer. » ! Bien des écrivains ont écrit sur le sujet, sans renoncer pour des raisons de ce genre, et ont livré des réflexions pleines d’intérêt sur l’art du roman (ne citons que Virginia Woolf, David Lodge ou Butor, pour rappel… et il y en a bien d’autres qui n’ont pas hésité à se creuser la tête sur le format qu’ils ont choisi en écriture). Murakami, lui, botte en touche et va donc nous parler de sa carrière ou des écrivains, de musique ici et là, mais pas du roman (ou si peu). Ne vous attendez pas plus à trouver dans son recueil des textes théoriques ou des essais sur certaines de ses techniques d’écriture. On en vient donc très vite, dès le deuxième chapitre, à la façon dont Murakami est devenu romancier : on avait déjà lu ça dans Autoportrait de l’auteur en coureur de fond (ou comment recycler un vieux texte) et si l’épiphanie qu’il a vécue pendant un match de baseball auquel il assistait est touchante, on a envie de dire qu’on aimerait lire et découvrir autre chose, ce dont on s’abstient parce qu’Haruki Murakami est un écrivain sympathique. Passons donc au troisième chapitre, consacré aux prix littéraires, sur lequel nous ne nous éterniserons pas. Il suffit de dire qu’Haruki Murakami veut nous persuader qu’il se moque de ces prix (lui qu’on a annoncé plusieurs fois potentiel lauréat du Nobel de littérature et qui ne l’a jamais reçu) et qu’on le croit sans peine (d’ailleurs, on s’en fiche éperdument, pour dire la vérité). On serait en droit, si Haruki Murakami n’était pas un écrivain sympathique, de s’impatienter un peu. Le quatrième chapitre, heureusement, aborde le sujet de l’originalité. On se dit qu’on va peut-être enfin découvrir quelque chose de neuf dans ce livre qui tarde à démarrer. C’est peut-être le cas, mais hélas, je n’ai rien retenu de ce chapitre. Il y est question de musiciens originaux (Les Beatles, Malher), assez peu d’écrivains et de grands romans – à croire que Murakami ne lit pas. Cinquième essai : Ecrire… mais quoi ? Murakami y parle encore de lui comme auteur, narre quelques anecdotes concernant des écrivains célèbres (Kafka, Joyce, Valéry, Hemingway…), évoque la musique, en particulier le jazz, mais le chapitre laisse sur sa faim le lecteur exigeant. Le sixième chapitre propose à l’écrivain en herbe une recette, Faire du temps son allié, et nous gratifie de ses règles de travail, dont on avait déjà pu prendre connaissance dans Autoportrait de l’auteur etc… Haruki Murakami est un écrivain sympathique, mais il exagère un peu. Si ses romans (je ne les ai pas tous lus, m’arrêtant à 1Q84, qui attend encore dans ma bibliothèque que je me sente la force de l’entamer) sont très agréables, ses essais littéraires laissent tout de même à désirer. Le lecteur désireux de connaître l’écrivain japonais y trouvera peut-être son compte, mais celui qui attendrait d’en apprendre rien qu’un peu sur ses théories littéraires, sa culture livresque et ses techniques d’écrivain en est pour ses frais. « Je me suis fixé une règle, lorsque je travaille à un roman, c’est d’écrire dix pages manuscrites par jour. » Hemingway en faisait de même (voir Paris est une fête) et ce genre d’information n’a rien de très exceptionnel ni de mémorable. En la matière, chaque écrivain a sa méthode : Pierre Michon passe des mois sans écrire, et l’emploi du temps quotidien en matière de discipline d’écriture des uns et des autres n’a rien de bien passionnant. Ils finissent tous par publier de très bons textes et nous en sommes heureux pour eux comme pour nous. Qu’ils écrivent au quotidien ou non, en buvant ou en se droguant, après avoir couru ou nagé une heure, en menant une vie saine ou grand train est leur affaire. En revanche, quand Haruki Murakami, un écrivain sympathique au demeurant, pose une question plus fondamentale sur le thème de l’écriture, il s’empresse d’y répondre en affirmant qu’il n’en sait rien, tout comme il passe un temps considérable à faire accroire à son lecteur qu’il n’est pas très intelligent (Haruki, pas le lecteur), qu’il est un homme banal, simple, modeste (tout en parlant de lui sans cesse). Dans ce chapitre, le thème de la réécriture est abordé (c’est un peu plus intéressant, soudain) et l’on apprend que réécrire est essentiel pour Haruki. Le chapitre suivant revient sur la nécessité pour Murakami d’entretenir son corps en courant (voire une fois encore Autoportrait de l’auteur en coureur de fond). Puis on en vient à ses années d’école et d’études (on apprend qu’il n’a pas aimé être élève), ce qui sur sa façon d’écrire nous en dit bien peu, et au neuvième chapitre, qui aborde le sujet des personnages que Murakami aime à créer, on se dit qu’enfin on en vient aux choses essentielles, et que quelques « secrets » de fabrique vont nous être révélés. La question de la première et de la troisième personne est abordée elle aussi. Et puis, guère plus. Le chapitre suivant pose la question des lecteurs de Murakami (Pour qui est-ce que j’écris ?… il affirme écrire avant tout pour lui-même ou pour un lecteur idéal, pfffff !), puis ce sont les dernières années de sa carrière qu’on aborde, en particulier celles de son succès américain et mondial. On en arrive à se dire que Murakami a réalisé un tour de force dans cet ensemble de textes : donner deux cents pages sur quelques thèmes touchant à son métier sans nous apprendre grand-chose sur le sujet. L’ensemble de ces petits essais écrits pour la presse ne fait donc pas un livre passionnant. Haruki Murakami est un écrivain très sympathique, qui a toute notre estime, mais vous pouvez vous passer d’acheter et de lire ce livre d’essais (ou alors, volez-le !).

Une réflexion sur “Profession romancier, Haruki Murakami

  1. Refourguez de vieux textes est souvent une idée d’éditeurs, mais il pourrait faire gaffe, aussi sympathique soit-il. Pour ma part, je l’ai lu (parcouru) sur les étals d’une grande chaîne de librairie. C’est vrai que cette histoire de destin littéraire révélée par l’impact d’une balle de baseball est sympathique elle aussi, je crois le gars à tout compris au monde moderne, il écrit sa propre mythologie. Et la répétition fait partie du processus. Il va finir par avoir le Nobel !

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