
Présenté comme le résultat d’une enquête menée auprès d’auteurs, mais aussi dans des musées et autres lieux culturels consacrés à la mémoire de l’écriture et de ceux qui l’ont animée, cet essai de Sally Bonn est un beau texte sensible, qui s’attache comme son titre l’indique à l’écriture, depuis les premiers gestes de l’enfance jusqu’aux pratiques des écrivains et à leur souvenir (Walser, Mallarmé, Proust, Benjamin, Ponge, principalement) en passant par son histoire, depuis l’antiquité et même la préhistoire, par les objets qu’elle engage, par le corps qu’elle mobilise, par la main, par la géographie, par des voyages…
Ça commence par un clin d’œil à Beckett, peut-être, avec le titre du premier chapitre, comme ça commence, et surtout les souvenirs d’enfance de cette petite Sally qui apprend les mystères de l’écriture, former ces lettres, sans réaliser qu’entre écrire et dessiner il y a plus qu’un lieu commun, des souvenirs d’une autre école, avec ses méthodes d’apprentissage. Ça commence aussi avec le rappel des origines méditerranéennes de l’écriture, avec les scribes du Nil.
Ça se poursuit avec les lieux de l’écriture : « Je n’ai cessé de chercher des endroits ou écrire. », avec une écriture qui peut rappeler le Perec des Espèces d’espaces, le Perec des listes et des inventaires. Sur le pavé du couloir d’une maison, dans des trains, des cafés (dont le Flore, évidemment avec « tous les fantômes, Jean-Paul et Simone le plus souvent »), des bureaux, bien sûr, des tables, etc… Puis viennent les outils, ordinateurs, machines à écrire, carnets, stylo, à l’encre, avec des plumes, au stylo à plume ; les manifestations publiques de l’écriture, dans la rue sous forme de slogans ou d’attentes annoncées… Puis on revient à la table (d’écriture), celle de Ponge en particulier et, de là, à la position du scribe que Ponge s’invite à étudier sans y revenir. C’est « une invite, voire une injonction » selon l’auteure qui file au Louvres pour s’intéresser au scribe accroupi, auquel elle consacre un chapitre, une description, à la place du poète. Puis nous voilà partis pour le Moyen Age avec Beatus, puis encore dans l’imprimerie d’un vrai éditeur, qui travaille encore aux lettres de plomb. Enjambons quelques dix pages pour retrouver Walser et ses microgrammes, un Walser qu’on trouve mort sur la grande page blanche de la neige, dont il s’est fait un dernier manteau, et Mallarmé, etc…
Sally Bonn écrit. Depuis toujours. Elle enseigne l’esthétique à l’université d’Amiens, est critique d’art et commissaire d’expositions. Elle a convoqué toutes ses composantes de sa personnalité professionnelle pour écrire ce très beau livre sur le fait d’écrire, sans oublier de le faire avec une sensibilité qui fait toute la substantifique moelle de son ouvrage, dans lequel pas une ligne ni une phrase ne semble inutile ou gratuite, un défi qui sur un tel sujet n’était sans doute pas facile à relever. C’est sans doute que Sally Bonn aime écrire et qu’elle accordait une grande valeur à ce projet. Mission accomplie.