
Au bas de l’écran, à gauche, dès le générique d’ouverture du film, un redoutable « avertissement » qui ne me dit rien qui vaille : « inspiré de faits réels ». Dans les zones syriennes contrôlées par l’Etat Islamique, la musique est interdite. Karim, pianiste qui a l’opportunité de passer une audition en Autriche, a pourtant un piano droit (dont la vente pourrait lui permettre de payer le passeur pour quitter la Syrie), mal caché dans l’espace en sous-sol (une grande cave) qu’il partage avec des voisins qui vivent là, dans la peur des descentes des hommes en noir qui tiennent la population du village sous la menace d’une terreur impitoyable. Une descente tourne justement mal et le chef des barbus vide son arme automatique sur l’instrument. Dès lors Karim quitte le village pour se rendre en zone de combat, dans la ville de Ramsa où il sait qu’un homme possède le même piano que le sien et espère pouvoir récupérer les pièces dont il a besoin. Ce jeune homme qui a cessé de combattre quand il n’a plus cru la victoire possible rêve de quitter l’enfer syrien, mais il a des attaches dans son village : le jeune Ziad, fils d’un voisin emmené par les terroristes, et qu’il prend plus ou moins en charge, et Abou Moussa, un commerçant qui l’emploie, vieil homme lumineux et toujours plein d’espoir, quelle que soit la situation.
Jusque-là, le film est un petit bijou d’humanisme, qui nous rappelle que l’art ne devrait jamais être censuré, parce qu’il fait oublier la douleur. La musique comme « balise d’espoir », ainsi que le dit le réalisateur. C’est alors que la fiction devient absolument irréaliste. Karim, tout en mettant en danger ses proches par son art et certaines de ses décisions (faire sortir Ziad de la madrasa, école coranique tenue par les hommes de l’E.I., où il a volé une cartouche d’explosif pour venger son père, et l’obliger ainsi à vivre en se cachant), en se mettant en danger lui-même, va soudain être accompagné par une chance en laquelle il est difficile de croire. Il rentre d’abord dans Ramsa, ville en guerre, grâce à un homme qui l’accueille dans son pick-up, et contre monnaie trébuchante, lui permet de passer le barrage de contrôle en le déclarant son employé. A Ramsa, il tombe sur une femme combattante, belle comme un mannequin, qui est pourchassée par des hommes en noir et accepte de le guider dans les ruines de la ville pour lui permettre de trouver l’adresse où il trouvera les pièces de piano qu’il recherche. Il est à deux doigts de prendre une balle dans la tête, mais la belle Samar lui sauve la mise en descendant de deux balles bien senties les patibulaires qui le tenaient en joue. Au retour, Samar, dissimulée sous une burka est dans la voiture (à l’arrière) et présentée au contrôle comme la femme de Karim. Puis, revenu au village, il réussit à faire partir vers l’Europe le jeune Ziad avant d’échapper, comme par miracle, à la violence des Islamistes qui le recherchent et de leur jouer un dernier mauvais tour dans une scène finale digne d’un bon vieux western et, il faut le reconnaître, d’une merveilleuse efficacité. Bon, Le dernier Piano ne brille pas par son réalisme, ses rebondissements ne sont pas crédibles, mais il a les vertus d’un film tourné dans des conditions confortables, le message dont il est porteur mérite d’être entendu et puis on peut aussi se laisser aller au plaisir d’un happy-end qui nous évite de sortir plombé d’un film qui, sans la magie de la fiction, n’aurait pas donné aux bons une victoire (victoire sans doute provisoire, d’ailleurs) qu’ils n’ont hélas jamais dans le monde réel, surtout dans un enfer comme celui décrit ici.