
Plongée saisissante dans les pensées intimes, le flux de conscience (ou d’inconscience) d’un délinquant sexuel américain, d’un pervers de tout premier ordre au rêve récurrent, transformer l’un des jeunes gens qu’il ne peut s’empêcher de kidnapper et violer en zombi tout à ses ordres et à sa dévotion par une simple opération d’une barbarie innommable de lobotomie imitée des techniques de la psychiatrie de son pays – le schéma de lobotomie transorbitale, directement sorti d’un livre scientifique américain des années 80 fait frissonner – et aux fantasmes effrayants par leur naïveté autant que par leur folie, Zombi n’est pas un roman à mettre entre toutes les mains. Quentin, qui ne se nomme que par ses initiales, Q.P., est un pauvre type, d’une naïveté infantile, mais aussi une victime autant qu’un bourreau. Il a du mal avec le contact visuel, qu’il évite la plupart du temps, éprouve peu ou pas d’émotions (sinon à l’idée de posséder un ZOMBI rien qu’à lui, ce qui l’excite au plus haut point), parle parfois de lui à la troisième personne du singulier, ne rêve pas, est attaché à son obsession numéro 1 : réussir, en enfonçant un pic à glace dans l’œil d’un des jeunes types qu’il kidnappe en les endormant afin de toucher une partie de leur cerveau et le priver d’une bonne de certaines de ses facultés intellectuelles et le transformer ainsi en ZOMBI obéissant et aimant. « Un vrai ZOMBI serait à moi pour toujours. Se mettrait à genoux devant moi en disant JE T’AIME MAÎTRE, IL N’Y A QUE TOI MAÎTRE. ENCULE-MOI MAÎTRE A ME DEFONCER LES BOYAUX. & j’essuie la purée poisseuse dans des poignées de papier hygiénique & retourne dans mon box où je les laisserai cachés dans ma serviette pour qu’ECUREUIL les débarrasse sans le savoir. MON ZOMBI ! » Nous sommes donc dans le cerveau d’un grand malade, et pour le meilleur comme pour le pire, car c’est lui qui parle du début jusqu’à la fin, avec sa langue, son absence totale de recul ou de culpabilité, ses fantasmes, etc… et le lecteur n’a pas d’autre choix que de le suivre dans toutes ses turpitudes, et il n’en manque pas dans ce roman décapant, puisque toutes ses tentatives de zombification des types dont il s’amourache le temps d’un passage à l’acte échouent et se finissent inévitablement par la mort du cobaye. Qu’à cela ne tienne, Quentin laisse passer un peu de temps avant de renouveler l’essai. Rien ne peut l’en empêcher, ni le psychologue qui le suit depuis qu’il a été jugé pour agression sexuelle sur mineur, ni son père, un prof d’université renommé et adepte de la bonne morale WASP, qui a pourtant trempé dans des expériences scientifiques douteuses avec son mentor, un vieux prof dont on apprend les méthodes après sa mort (il fait alors disparaître de son domicile les photos qui les montraient ensemble, lui encore jeune étudiant, son prof, plus âgé), c’est en tout cas ce qu’on peut déduire de ce passage du livre, ni sa sœur, proviseure d’établissement scolaire, ni sa mère, qui ne fait que pleurnicher à l’idée que son Quentin soit un délinquant, mais se leurre le plus souvent en imaginant que c’est Dieu merci imposssible.
Carol Joyce Oates signe un drôle de livre, un peu cradingue et très souvent drôle, au rythme soutenu (l’usage de l’esperluète à la place du « et » y aide bien, mais aussi le choix d’une langue orale et « diminuée »), l’absence de narrateur externe permet d’éviter le jugement, car Quentin s’accepte tel qu’il est, les chapitres courts ne font pas s’appesantir le texte sur la psychologie du personnage, on est la plupart du temps dans le factuel ou dans les rêves éveillés et les stratégies du malade mental, et le texte est accompagné des dessins maladroits ou ridicules de Quentin. Bref, c’est brut de décoffrage, et sacrément efficace. On a parfois « les dents du fond qui baignent », mais il ne faudrait pas s’en plaindre. Après tout personne ne nous a forcé à suivre les aventures de Quentin, un triste exemplaire parmi tant d’autres de ce que la société américaine peut créer de plus mauvais.
Faut être courageux pour lire un livre pareil…
Merci de l’avoir fait pour moi
PS : Et pour l’écrire?!?
J’aimeJ’aime
J’ai comme l’impression que Joyce Carol Oates écrit des bouquins « dangereux »…
J’aimeJ’aime
Si on part du principe que toute création mentale a une existence tangible dans un monde qu’on appelle l’astral. Je ne peux que te confirmer la dangerosité de la demoiselle…
J’aimeJ’aime
Pour une fois que tu lisais un auteur américain…
J’aimeJ’aime