Utama, la terre oubliée – Alejandro Loayza Grisi

Premier film de Loayza Grisi, Utama, la terre oubliée est une œuvre cinématographique de très grande qualité, que les contemplatifs aimeront pour la splendeur désolée des paysages que les hauts plateaux boliviens proposent, pour la lenteur de l’action et le temps de l’intrigue, enfin pour une histoire où la symbolique et un mysticisme discret sont au rendez-vous. Virginio, un vieil homme, et sa femme Sisa (deux personnages formidablement campés par des acteurs sobres et amateurs, des habitants du village) ne projettent pas de quitter leur terre, à l’instar d’une majorité de villageois, à un moment où la désertification gagne, où faire boire leur troupeau de lamas devient une aventure quotidienne de plus en plus délicate, à un moment où faire pousser quelques rangs de patates et de haricots s’avère aléatoire. Il n’a pas plu sur Utama depuis trop longtemps. Leur fils a choisi de vivre à la ville depuis des années. Quand Clever, leur petit-fils de 19 ans, leur rend visite à l’improviste, Virginio se méfie. Il sait que la question de leur départ va être posée, mais lui, qui se sait malade et même gravement malade, veut mourir chez lui, et sans doute pas dans l’anonymat glacé de la blancheur d’un hôpital.

Le conflit entre les deux hommes, conflit de générations, ne nous est pas épargné, mais c’est aussi leur véritable rencontre qui est superbement mise en scène, dans des moments de banalité partagée, celle d’un rude quotidien de labeur et de souffrance, celle de la découverte de la fragilité de Virginio (« Tu vas mourir », se dit-il à lui même, après une énième quinte de toux à n’en plus finir). La relation entre la grand-mère et le petit-fils est plus douce. Le jeune homme se plie à la discipline que lui impose son grand-père, comme pour le mettre à l’épreuve. Les deux vieillards s’accrochent à leurs traditions et à leur terre.

Les questions posées par le film sont profondes. Comment éviter des exodes rurales et des migrations imposées par le réchauffement climatique ? Comment couper à la perte de modes de vie traditionnels et à la disparition de cultures aussi belles qu’anciennes dans ces conditions ? Quelle place des êtres humains qui n’ont jamais connu que la ruralité et leur métier de paysan, la modestie d’une vie de labeur, d’élevage et de petite agriculture pourraient-ils trouver dans un monde urbain où la technologie est la nouvelle religion ? Virginio, en choisissant de ne pas se faire soigner et de mourir dans la dignité et dans son lit, Sisa, en choisissant de ne pas quitter sa terre, même une fois veuve, répondent à leur façon à la troisième question. En colère après son petit-fils, Virginio lui reproche : « Si tu savais lire les signes, tu saurais déjà. » La fable spirituelle, portée par le « personnage » du condor qui vient se poser aux pieds de Virginio et semble lui signifier sa fin prochaine (c’est un signe que le vieil homme lit sans le moindre doute), n’est pas envahissante, mais apporte au personnage de Virginio un peu plus de profondeur encore (la cérémonie religieuse pour en appeler au retour de la pluie, avec sacrifice d’un lama, sur la montagne la plus haute, et avec tout les hommes du village est traitée avec sobriété). A l’inverse de son grand-père, Clever est un jeune homme matérialiste et qui ne sait rien de ses origines. Il parle l’espagnol quand Virginio s’y refuse et préfère le quéchua. Ce sont deux visions du monde qui s’affrontent, sans manichéisme, puisque le grand-père est dépeint comme un homme rude, qui refuse de parler à sa femme de sa maladie et considère même qu’elle devrait quitter le monde en même temps que lui et qu’il traite son petit-fils avec une grande dureté. Clever ne parle pas à sa place, mais cherche à lui imposer tout de même de dire ce qu’il a à dire à Sisa, il fait même venir un médecin qui ne peut que confirmer les craintes du jeune homme, mais s’avouer vaincu devant l’inflexibilité de Virginio, qui n’ira pas à la ville pour se faire soigner. Pourtant la transmission a quand même lieu (à travers la remise d’un objet symbolique remis en héritage par le grand-père à son petit-fils dont il considère qu’il saura en faire meilleur usage que lui, mais aussi dans leurs journées partagées et dans le récit que le vieux fait au jeune des derniers moments du condor quand il se sait bientôt mort), la tendresse est évoquée en filigrane et rien de déprimant n’arrive aux personnages de l’intrigue de ce merveilleux film, dans lequel tout n’est que beauté, ode à la liberté et à la nature, aussi rude et aride soit-elle. Même si ce monde de l’Altiplano, et on le comprend pendant toute la durée du film, est en grand danger.

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