
Court recueil d’articles sur l’écriture, L’Urgence et la patience confirme que Jean-Philippe Toussaint est un écrivain très à l’aise avec le recul réflexif sur sa pratique et un lecteur dont les goûts littéraires sont aussi avisés que ses analyses. Tout comme dans le récent ouvrage de la collection Secrets d’écriture, Toussaint y revient d’abord sur ses premiers pas d’écrivain, avec une modestie remarquable, puis, dans un très court texte, sur ses bureaux (un lieu de travail comme un autre), avant de nous offrir un texte plus conséquent sur ce qui constitue à ses yeux l’essentiel de l’acte d’écriture, deux façons de faire qui s’opposent et se complètent, s’opposent et se marient, l’urgence et la patience, deux notions qu’il juge « apparemment inconciliables » (mais les apparences sont trompeuses, on le sait). Sans patience, la patience qui permet au livre de se construire peu à peu, sous le crâne de l’écrivain, puis sous sa plume, pas d’urgence en vérité. Sans l’urgence, celle qui permet au texte de venir comme l’eau coule de source, celle qui permet aux phrases de s’agencer à merveille, à quoi servirait la patience ? Il y a chez les écrivains, souligne Toussaint, des patients (Flaubert en serait sans doute le premier représentant) et des urgents (Rimbaud), mais au bout du compte, comme toujours avec ce genre de catégorisations, chaque écrivain est inévitablement les deux à la fois, avec sans doute une tendance dominante. Après ce chapitre qui donne son titre au livre, quelques articles moins forts, dont ceux consacrés à la lecture de Proust, mais qui parle surtout des fauteuils dans lesquels Toussaint a lu la Recherche, et à la lecture de Dostoïevski (plus pertinent), dans lequel l’auteur se penche sur le don du Russe quand il s’agit de manier la prolepse. Avant de finir en beauté avec trois articles consacrés à la seule influence de Toussaint, le grand, le génial Samuel Beckett, influence que l’auteur a du dépasser pour pouvoir écrire lui-même et se faire une personnalité d’écrivain. Dans cette fin de livre, le lecteur que je suis a bu du petit lait, car tout ce qui s’écrit sur l’écrivain irlandais me semble digne d’être lu. Et les textes de Toussaint n’échappent pas à cette croyance. Bref, je vous recommande L’Urgence et la patience à plus d’un titre, si vous vous intéressez aux essais littéraires, cela va sans dire.
JPT qui écrit une de tes chroniques pour te remercier d’avoir écrit son essai sur Beckett, tout en parlant de lui à la troisième personne et en louant son (soi-disant) travail, je trouve ça étrange, mais on peut aussi porter ça à son crédit. C’est une façon comme une autre de te renvoyer l’ascenseur.
J’aimeAimé par 1 personne