Les Petrov, la grippe, etc. Alexei Salnikov

Les Petrov, la grippe, etc, du poète russe Alexei Salnikov, est bien sûr le roman qui a été adapté par le trublion génial du cinéma Serebrenikov (titre : La Grippe de Petrov, chroniqué sur ce blog il y a déjà quelques mois). L’image de couverture du roman dans sa traduction française est d’ailleurs issue du film… Il est rare de lire un livre après en avoir vu l’adaptation cinématographique, c’est le plus souvent dans l’autre sens que les choses se font… Il est assez rare, il me semble, de préférer le film au livre. C’est pourtant le cas pour ces deux objets si proches et si différents que sont La Grippe de Petrov et Les Petrov, la grippe, etc., que je n’ai pu m’empêcher, pendant ma lecture, de comparer. Il est vrai que le film est d’une force étonnante. Serebrenikov, sans être infidèle au texte, en a magnifié les passages les plus importants, a su tirer parti des particularités des personnages pour filmer quelques scènes d’anthologie… Par exemple, Petrova, la femme de Petrov, durant ses crises de folie, quand elle se transforme en tueuse sans pitié, devient un personnage fantastique, dont les pupilles se dilatent au point que l’iris en devient entièrement noire, et que même le blanc de l’œil disparaît. C’est le signal du début de sa folie meurtrière, qu’elle assouvit joyeusement, du poing ou au couteau, sur des hommes dont le comportement a le malheur de lui déplaire. Dans le livre, ou plus exactement dans le chapitre sobrement intitulé Petrova devient folle, ces excès de folie sont annoncés par une « spirale froide qui palpitait en elle, dans la zone de son plexus solaire », ce qui est moins impressionnant que le regard modifié du personnage dans le film. D’autant que ce qui est dans le livre présenté comme une forme de folie, n’est pas commenté dans le film, mais donne lieu à deux scènes d’une violence magnifiée par la mise en scène et son aspect fantastique et fantasmé.

Ce n’est évidemment pas tout, là où le film semble à plus d’une occasion complètement délirant, le roman reste sage, tant dans son intrigue que dans sa forme narrative. On y retrouve avec plaisir les personnages de Petrov, Petrova et Petrov junior, le personnage insupportable d’Igor, une vague connaissance de Petrov qui obtient à peu près toujours ce qu’il veut des autres, à savoir qu’ils sortent avec lui le soir pour s’enivrer de vodka dans des errances sans fin à travers la ville et le froid. Mais là où le film fait de la virée de Petrov et Igor, dans un corbillard garni (d’un cercueil et son macchabée, et du chauffeur !), le centre de sa narration (en le magnifiant par une folie de bon aloi et quelques effets simples, mais d’une efficacité et d’une esthétique incroyable), le roman ne lui consacre qu’une courte partie de son premier chapitre, pour ensuite se concentrer sur la vie des Petrov, ce qui se passe dans la tête de Petrov, ce qui se passe en Petrova quand elle pète un plomb…

De ce point de vue, la lecture du roman m’a sans doute paru un peu longuette, même si j’avais plaisir à retrouver l’univers de cette famille, « entre délire et réalité » comme le dit la quatrième de couverture, mais quand il s’agit de narrer entre délire et réalité, Serebrenikov est indépassable. Les trois cent pages du roman m’ont donc paru un peu trop nombreuses, on aurait pu sans doute se contenter de deux cents, mais il s’agit malgré tout d’un bon premier roman et je serais curieux d’entendre un lecteur qui n’aurait pas vu le film me parler du texte d’Alexei Salnikov. Pour finir, en pensant que l’image peut sans doute rendre un univers délirant avec plus d’efficacité que la phrase, il me revient à la mémoire que Salnikov est un poète (visiblement reconnu dans son pays comme l’un des plus importants du moment) et qu’il ne devrait donc pas manquer d’images fortes et de capacité à aller du côté de la folie en mettant le feu à son texte et ses phrases. Ce n’est hélas pas le cas dans ce roman qui ne manquait pourtant pas d’occasions de mettre en branle une machine poétique forte et turbulente, en particulier dans les quelques scènes qui s’y prêtaient et il s’en trouve quelques-unes. Mais le texte reste sage, trop sage. Hélas, mille fois hélas.

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