Fuir, Jean-Philippe Toussaint

Deuxième volet de la tétralogie de Marie, Fuir est un roman de Jean-Philippe Toussaint que ses essais sur sa pratique d’écriture m’a donné envie de lire. Ecrire, dit Toussaint, c’est fuir… S’éloigner du monde réel pour tenter d’en livrer la substantifique moelle, comme il le dit à peu de chose près. Si tel est le cas pour cet écrivain contemporain dont la pensée est éminemment sympathique, intelligente, attrayante, alors, sans doute, ce texte doit-il donner au lecteur un aperçu « au plus près » de sa poétique. Autant donc recommencer la découverte de cet auteur (après une lecture de son seul premier roman, La Salle de bain, choisi à l’époque pour son titre, et un peu pour son résumé qui m’avait sans doute fait penser à L’Homme qui dort, de Perec…) en lisant Fuir. Le discours de Toussaint sur le style m’a fait également penser que l’homme avait revu sa façon d’écrire, en cherchant à sortir d’un style qui m’avait paru minimaliste dans son premier livre.

En effet, Fuir est un roman dans lequel le style est travaillé, loin de la « ligne claire » des un-e-s et des autres, et la phrase longue n’y est pas rare, l’écrivain cherche clairement une voi-e-x différente, comme ses essais le laissent penser. Quand l’urgence est au rendez-vous, l’urgence littéraire dont il développe de façon intéressante le concept dans L’Urgence et la patience, quand le thème de la fuite est présent et emporte tout, sans pour autant laisser de côté l’intrigue (car la fuite y est centrale), le texte se met à vivre intensément et l’écriture est là, le souffle, le style, bref la littérature. Marie, la compagne du narrateur, personnage central de cette série de quatre romans, est absente pendant le deux premiers tiers du texte, qui se passe en Chine. Une femme, Li Qi, pourrait, sinon la remplacer, du moins en être une sorte d’alternative. Mais il n’en sera rien. Un homme, inquiétant, pour le moins, accompagne le narrateur même quand il pense en être débarrassé, au point de croire qu’il n’existe que pour ne lui laisser aucune autonomie. Il en va peut-être autrement. Mais il s’agit de la tétralogie de Marie, et la dernière partie du livre ramène l’intrigue et le lecteur vers elle, sur l’île d’Elbe, contraste saisissant entre les villes de Shangaï et Pékin, grise et polluée, et la luminosité d’azur de la Méditerranée. Pourquoi le narrateur doit-il retrouver si soudainement cette femme qu’il aime et interrompre brusquement son voyage, entamé sous de bons auspices, malgré quelques rebondissements douteux, qui l’entraînent vers un monde d’illusion dont il est sans doute préférable de se tenir à distance, pourquoi le retour en Europe s’impose-t-il si impérativement ? La réponse à cette question est à vrai dire sans importance. L’essentiel est de suivre ce narrateur dans cette errance qui mène vers Marie, une femme qu’il fuit sans pouvoir la quitter, une femme qui le quitte sans pouvoir le fuir, en se laissant porter par une écriture des sensations qui vaut qu’on se détourne du tout-venant des romans sans profondeur. Retrouvailles réussies avec la littérature de Jean-Philippe Toussaint, cet admirateur sincère de Beckett qui a trouvé sa voie et mérite plus qu’une simple considération. Si écrire, c’est fuir, alors Jean-Philippe Toussaint fuit très bien…

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