
Depuis le roman de Roberto Bolaño (bientôt chroniqué dans cette page), 2666, le thème des violences faites aux femmes, et plus encore des féminicides, est souvent traité par les cinéastes (il n’y a sans doute aucune conclusion à en tirer, mais il faut bien commencer d’une façon ou d’une autre…). Le réalisateur Ali Abbasi (voir également Border, réalisé en 2018), s’attaque à une histoire qui aurait sans doute pu ressembler par le nombre de victimes (le criminel a l’intention de tuer les deux cents prostituées que compte sa ville) à celle que traite le roman chilien. Saheed, un « bon père de famille » de la ville sainte de Mashhad (où se retrouvent plus de vingt millions de pèlerins chaque année) se mue la nuit en assassin de prostituées, qu’il repère et ramène chez lui sur sa moto pour les étrangler sans plus de façon, histoire, prétend-il, de nettoyer la ville du vice qui y sévit. Parallèlement, on suit la journaliste d’un grand quotidien de Téhéran, venue à Mashhad pour y enquêter sur cette série de crimes. Rahimi subit au quotidien le paternalisme étouffant des hommes, leur sentiment de supériorité, leur violence sexuelle, et ce n’est sans doute pas sans raison qu’elle se prend de passion pour cette affaire. C’est un fait que pas un homme du film ne s’en tire à son avantage, que ce soit le collègue de Rahimi (le gentil de la bande, protecteur et « raisonnable », dont on voit bien qu’il a un faible pour son amie journaliste, mais sans espoir tant son conformisme de « mâle » le dessert…), l’employé préposé à l’accueil d’un hôtel (prêt à refuser la réservation de Rahimi sous prétexte qu’elle n’est pas accompagnée par un homme), le flic (machiste et libidineux, qui se dévoile dans une scène malaisante), les amis anciens combattants de Saheed (prêts à tout, sans hésiter à contourner la loi, pour lui éviter la peine de mort), et Saheed lui-même (« l’assassaint », à l’esprit pour le moins dérangé).
On voit un thriller, qui prend aux tripes, dans une tension qui va crescendo dès lors que les crimes se suivent et se ressemblent, et que Rahimi s’implique individuellement dans l’enquête, au point de jouer les chèvres pour faire tomber le meurtrier, avec son collègue qui la suit, mais trouve le moyen de perdre de vue la moto et de laisser à un triste sort l’héroïne du film. Sans la moindre faiblesse, ce thriller pas comme les autres pousse son propos jusqu’au bout, ne se satisfaisant pas de résoudre son intrigue par un dénouement moral attendu et exact au rendez-vous, mais en montrant la journaliste qui termine son enquête par des entretiens du genre glaçant avec quelques victimes du meurtrier, dont son fils, qui a si bien intégré la violence faite à sa famille par Saheed qu’il s’improvise déjà en continuateur de « l’œuvre » paternelle en prenant sa sœur pour modèle et en montrant à la journaliste comment faisait son père. Glaçant et brillant. La participation des Nuits de Mashhad au festival de Cannes a valu Zar Amir Ebrahimi le Prix d’interprétation féminine.