
« Il fumait des cigarillos Panter, la fumée dégageait un mauvais parfum. En entrant dans le restaurant, je crus bien faire en lui disant que j’admirais son œuvre. Sans s’énerver, il me dit : « Ne me parle plus jamais de mes livres ; j’ai écrit pour sortir de prison, pas pour sauver la société ; j’ai sauvé ma peau en m’appliquant comme un bon écolier, voilà, c’est tout. »
J’étais surpris, un peu décontenancé, ne sachant pas comment réparer cette gaffe. J’avais quelques illusions et pensais qu’un grand écrivain ne parlait pas ainsi de son œuvre. C’était le côté naïf de mes débuts en littérature. Mais j’avoue que cette réaction violente, surprenante, m’a énormément aidé dans ma vie et mon travail. Pour la première fois je rencontrais un écrivain ne supportant pas qu’on évoque devant lui son œuvre. C’était si rare. Je lui en redemandais la raison. Il me regarda puis me dit : « Qu’est-ce qui est important ? Un homme ou une œuvre ? »
Tahar Ben Jelloun, Jean Genet, Menteur sublime