
« Genet essaya de m’expliquer comment les choses s’étaient passées. Il broda un peu autour du thème de la blessure, du drame et de la beauté. Il me dit surtout qu’avec cet artiste il n’y avait aucune place pour le truquage, les faux-semblants, les apparences arrangées. Il insistait sur le malaise qui l’avait pris à la gorge quand il s’était retrouvé dans cet espace si étroit, face à cet homme qui allait le dessiner. Il disait : »Mais dessiner quoi ? Mon visage, mes joues roses, mes yeux ? Oui, mes yeux, mon regard, je savais qu’il allait fouiller par là… » C’est peut-être à cause de cela que dans L’Atelier d’Alberto Giacometti Genet évoque cette question de « l’inexorable… de la peut, de la terreur… »
Quand nous parlions de Giacometti, Genet devenait un autre. Il se souvenait, ce qu’il évitait de faire d’habitude. En même temps, il me faisait part de la fascination qu’exerçait Giacometti sur lui. Pourtant, ils étaient si différents. Lorsque je racontai à Genet que Giacometti se saoulait en compagnie de Samuel Beckett, et qu’ils allaient voir des putes, il me répondait : « Oui, j’en ai entendu parler ; Beckett devait être drôle ! »
Tahar ben Jelloun, Jean Genet, Menteur sublime