Mon Pays imaginaire, Patricio Guzman

Patricio Guzman, pour les lectrices ou lecteurs qui ne le connaîtraient pas (comme je les plains), est un réalisateur de documentaires chilien qui a tourné et construit des chefs d’œuvre du genre, dont les titres sont, entre autres, Nostalgie de la lumière, Le Bouton de nacre et La Cordillère des songes (un triptyque unique en son genre, somptueux, une ode à un pays qu’il aime et qu’il pleure, pays dont il s’est exilé en 1973, année pathétique de la prise de pouvoir du détestable Pinochet et de la mort d’Allende). Son nouvel opus, Mon Pays imaginaire, retrace les dernières années d’un pays qui retrouve sa fierté et sa mémoire, depuis un bel automne dont bien des peuples pourraient s’inspirer. Mais laissons la parole à Guzman : « Octobre 2019, une révolution inattendue, une explosion sociale. Un million et demi de personnes ont manifesté dans les rues de Santiago pour plus de démocratie, une vie plus digne, une meilleure éducation, un meilleur système de santé et une nouvelle Constitution. Le Chili avait retrouvé sa mémoire. L’événement que j’attendais depuis mes luttes étudiantes de 1973 se concrétisait enfin. »

C’est à un retour à un documentaire plus classique auquel se livre le réalisateur, même si dès les premières images et un gros plan sur des grosses pierres (il est encore question de la Cordillère), on reconnaît immédiatement son style inimitable et sa voix, en off, comme toujours. Il est donc question de la vie sociale et politique du Chili, de 2019 à 2021, deux années durant lesquelles, à l’initiative tout d’abord des jeunes qui, en se tenant à distance respectable des organisations politiques, se sont mis à se structurer pour organiser la révolte dans la rue (face à un pouvoir qui matait les manifestations et l’opposition dans la rue à la façon dont la dictature le faisait avant lui), puis des femmes qui, majoritairement, ont donné un élan plus puissant à ce mouvement libérateur. Patricio Guzman ne s’y trompe pas quand il donne la parole seulement à des femmes pour témoigner sur ce mouvement. Ce sont elles qui avaient le plus de choses à revendiquer, ce sont elles qui souffraient le plus de l’oppression dont le peuple chilien a été trop longtemps victime et d’un patriarcat qui accompagne toujours les vraies dictatures et les fausses démocraties. Qu’on y pense un peu : la « démocratie » chilienne fonctionnait encore jusqu’en 2021 avec la Constitution écrite par Pinochet. Les images de rues embrasées alternent avec ces témoignages de femmes, commentées par la voix et le texte, toujours aussi émouvant, de Patricio Guzman. Il regrette dès le début de n’avoir pas été présent à Santiago pour filmer la première flamme. Mais il s’est rendu sur place bien vite et le bonheur de voir, sous l’œil de sa caméra, cette ville qui résiste avec courage aux flics et aux militaires (Etat d’urgence déclaré contre l’ennemi intérieur, un ennemi dont il parle devant les caméras des télévisions de façon ridicule et anachronique, par l’ancien Président de la République Sebastian Piñera) hyper-violents et mal commandés, voire livrés à leurs impulsions fascistes, de voir les rues de cette ville emplies par la foule des 1 millions 500 000 manifestants qui obtiendront après deux années de lutte acharnée (« Nous ne reviendrons jamais en arrière » est une phrase qui revient régulièrement dans les propos des femmes filmées par Guzman ») l’abandon de la constitution fasciste et l’écriture de la nouvelle constitution par un panel de gens du peuple choisis parmi les manifestants, ce bonheur-là, il le partage merveilleusement avec les spectateurs de son film. Les concerts de casseroles dénonçant l’inactivité du gouvernement malgré la pression de la rue (peu de temps avant l’écriture d’une nouvelle constitution, Piñera n’avait fait prendre aucune réforme allant dans le sens social d’une amélioration des conditions de vie du peuple) sont aussi de beaux moments, filmés à l’envi, et à juste titre. Le peuple chilien a obtenu satisfaction, il a transforme par les urnes sa lutte victorieuse, en se débarrassant d’un Président vendu au capitalisme le plus brutal et qui fonctionnait à la façon d’un héritier du dictateur, et en élisant un homme jeune et plus démocrate qui, souhaitons-le pour ce beau pays, saura changer la vie. C’est évidemment l’espoir que Guzman affirme à la fin de son très beau film documentaire qu’il ne faut, à moins d’être d’extrême-droite, en aucun cas manquer.

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