Le Mobile, Javier Cercas

Actes Sud publie le « premier roman » de Javier Cercas, Le Mobile, texte tiré d’un recueil de nouvelles dont l’auteur espagnol n’a conservé que celle-ci, se repentant des quatre autres (« par bonheur presque personne ne les a lus » écrit-il humblement dans sa note de fin de livre). Dans cette même note, il se demande : « J’ignore si le récit qui donnait le titre à ce recueil et que j’ai décidé de conserver ici est meilleur que les autres ; mais je sais que c’est le seul dans lequel je me reconnais non sans une certaine gêne et le seul, même si un écrivain finit presque toujours par se repentir de son premier livre publié, dont je ne me suis pas encore repenti. Il se peut que ce soit une erreur. » Fort bien.

Alvaro, vit dans un immeuble, petitement puisqu’il a choisi de sacrifier sa carrière professionnelle à don amour immodéré de la littérature, à laquelle il se livre avec le plus grand sérieux : « Alvaro prenait son travail au sérieux. Chaque jour il se levait ponctuellement à huit heures. Il finissait de se réveiller sous une douche d’eau glacée et descendait au supermarché acheter du pain et le journal. De retour chez lui, il préparait du café, des tartines grillées avec du beurre et de la confiture et il petit-déjeunait dans la cuisine, en feuilletant le journal et en écoutant la radio. A neuf heures, il s’asseyait à son bureau, prêt à commencer sa journée de travail. » (incipit) Son projet est d’écrire une oeuvre ambitieuse pour ouvrir une voie et pour cela, car les grands écrivains se reconnaissent à leurs lectures, il met ce premier roman sous l’autorité de Flaubert (petite pose dans le compte rendu de ce « roman », je l’ai choisi car, justement, mon second texte long, en cours, est l’histoire d’un homme qui, sans connaître Gustave Flaubert – il en a seulement entendu parler au bistrot, par un prof de lettres avec qui il boit parfois un coup – entame, sous l’égide de l’écrivain normand – le livre sur rien -, un cahier dans lequel il rend compte de son observation quotidienne d’un mur).

Ensuite, comme le roman du personnage principal se passe dans un immeuble, Alvaro va aller chercher le réalisme de son texte et ses personnages dans son environnement proche. J’arrête là le résumé du texte. Alvaro va faire la connaissance de trois de ses voisins et de la concierge de l’immeuble et, bien sûr, les choses ne vont pas passer aussi bien qu’il l’aurait souhaité, sinon il n’y aurait pas d’intrigue. Le texte de Cercas se lit vite (moins de quatre-vingt pages), mais hélas on n’en sort ni estomaqué ni convaincu. La fin est surprenante pour qui aurait pensé naïvement que la logique ne l’emporterait pas et l’on se dit que le prétexte littéraire du début a fait long feu, que c’est bien un texte de jeunesse qu’on vient de lire et qu’il est sans doute préférable d’aborder l’oeuvre de Cercas par des romans de sa maturité littéraire si l’on veut se faire un idée plus précise de son apport à la littérature. Et nous revenons, avant de vous déconseiller d’acquérir ce livre (13,80 euros pour 80 pages, mieux vaut sans doute le voler ou l’emprunter), à la note d’auteur : « Mais il se peut aussi que Cesar Aira ait raison quand il prétend que tout écrivain est soumis à la loi des rendements décroissants, selon laquelle « il est de plus en plus difficile de réaliser par la suite ce qui n’a pas été réalisé à la première tentative », parce que les astuces que le temps nous octroie, il nous les fait payer en fraîcheur et en vitalité. Si cela est vrai, et je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas le cas, ce livre est mon meilleur livre. » Il vaut donc peut-être mieux passer son chemin et ne pas insister avec l’oeuvre de Javier Cercas. Je lirai toutefois son recueil d’essais littéraires, dont la critique dit grand bien, Le Point aveugle. Et m’en tiendrai sans doute là.

Bartleby et compagnie, Enrique Vila-Matas

Il est bossu, commis aux écritures « dans un bureau épouvantable », seul et plus que seul. Vingt-cinq ans plus tôt, il a commis « un roman sur l’impossibilité de l’amour ». Depuis rien, et puis il se décide à dénicher les Bartleby de l’écriture, autrement dit les écrivains qui après avoir écrit quelques livres, parfois quelques très bons livres, quand ce ne furent pas des chefs-d’œuvre, décident soudain de renoncer à la littérature, disent « Je préfèrerais ne pas… », à la façon du personnage de Melville, écrire. Et ils s’y tiennent, les bougres, ils n’écrivent plus une ligne ! Le livre que vous avez entre les mains, car grâce à ces quelques lignes vous l’avez déjà commandé et il est arrivé très vite (faites bien attention à ne pas commander vos livres dans une entreprise américaine qui, par les temps qui courent, travaille à tour de bras dans notre pays de vraies librairies et profite du confinement pour essayer de vous faire prendre des habitudes idiotes de stupides paresseux qui trouvent tellement cool de faire venir leurs bouquins par correspondance en les commandant à la maison sur Internet plutôt que de vous rendre, c’est tellement usant, n’est-ce pas, de devoir aller jusqu’à la librairie, dans une boutique où vous permettez à des gens simples, de votre ville, de gagner honnêtement leur vie, on peut très bien, même actuellement, acheter des livres en librairie), est un texte d’Enrique Vila-Matas, l’écrivain catalan qui fait de la Littérature le personnage principal de ses romans. Bref, revenons à nos moutons, Vila-Matas est un très grand écrivain et vous devriez déjà le savoir, mais je vais vous le rappeler ou vous l’apprendre si vous ne le savez pas encore. Non mais !

Où en étions-nous ? Ah, oui ! le bossu… en quatre ou cinq pages, il nous raconte un peu de sa vie et surtout son nouveau projet d’écriture : il s’agit d’un livre de notes en bas de page, dans lequel il traite des écrivains de la famille littéraire des Bartleby qui un beau jour ont renoncé à l’écriture. Les 86 notes de bas de page qui suivent son petit texte ne sont reliées à aucun texte, elles existent par elles-mêmes et se suffisent à elles-mêmes. C’est là qu’on se rappelle que derrière ce narrateur, qu’on ne va pas perdre complètement de vue, se cache, si peu, un grand écrivain, Enrique, qui aime tant à parler de littérature et des écrivains qu’il adore. Sont au rendez-vous, une fois encore : Georgio Agamben, Bobi Balzen, Samuel Beckett, JL Borges, Richard Brautigan (et la fameuse bibliothèque portant son nom où sont conservés les manuscrits rejetés par les maisons d’édition que leurs auteurs finissent par déposer là, faute de mieux), Cervantes (l’autre auteur de Don Quichotte), Arthur Cravan, Marguerite Duras, Carlo Emilio Gadda, Julien Gracq, Hugo von Hofmannsthal, Victor Hugo, James Joyce, Franz Kafka, John Keats, Primo Levi, Herman Melville, Paul Morand, Georges Perec, Fernando Pessoa, Platon, Alonso Quijano, Arthur Rimbaud, Juan Rulfo, JD Salinger, Marcel Schwob, Socrate (ah, oui, il n’a rien écrit, normal dans ce livre), Antonio Tabucchi, Miguel Torga, Jacques Vaché, Robert Walser (dont Vila-Matas est un fervent défenseur, tout comme l’auteur de ces lignes), Oscar Wilde, etc… je ne pourrais tous les citer. Il y est aussi question du musicien de jazz Chet Baker, que Vila-Matas, tout comme l’auteur de ces lignes, aime tant, et de Marcel Duchamp, qui, à la fin de sa vie, jouait plus aux échecs qu’il ne peignait, et Michelangelo Antonioni, le cinéaste italien. Vous l’avez compris, il est un peu difficile de rendre compte de ce livre qui est une accumulation de courts textes, presque des essais, sur des écrivains du refus, dans lequel on ne perd pas de vue le narrateur, un narrateur de fiction, et dans lequel l’auteur, Enrique Vila-Matas, est omniprésent, car le garçon est toujours là, et dans lequel la Littérature est omniprésente, car le Catalan que j’aime tant est un fou de littérature, tout comme la plupart de ces personnages principaux, et c’est tant mieux car l’auteur de ces lignes, lui aussi, est un fou de littérature. Si vous ne l’êtes pas encore, fou de littérature, et que vous souhaitez le devenir, fou de littérature, lisez Enrique Vila-Matas, un fou de littérature qui vous fera découvrir nombre de grands textes et deviendra votre meilleur ami, au point, comme l’auteur de ces lignes, de relire ce livre, quand vous serez devenu, vous aussi, un fou de littérature.