Le Prospectus, Cesar Aira

En littérature, tout est permis ! Le message qu’envoie chaque roman de Cesar Aira à ses lecteurs et à tout aspirant écrivain souhaitant écrire autre chose que ce qui nous est donné à lire la plupart du temps est on ne peut plus clair. Dans Le Prospectus, une jeune femme, Norma Traversini commence un texte censé informer les habitants de son beau quartier de Flores qu’elle va ouvrir un atelier d’expression dramatique pour permettre à ses participants, non de devenir acteur ou actrice, mais de développer leur niveau de sincérité. Norma Traversini est peut-être douée pour la pédagogie théâtrale, mais en ce qui concerne la rédaction d’un prospectus efficace, elle est catastrophique et se perd dans des digressions inutiles et, quand elle en prend conscience, plutôt que de recommencer son texte, elle se propose de mieux expliquer son propos et voit son texte s’allonger sans s’en inquiéter outre mesure, si bien que quand elle commence à résumer un roman qu’elle vient de lire pour mieux se faire comprendre, elle ne se demande pas si son projet lui échappe. Voilà trois fois qu’elle s’égare : « La somme des explications, loin d’éclaircir le panorama, l’a complètement embrouillé. » Le nom de son atelier est « Atelier Lady Barbie », nom d’un des personnages du roman qu’elle décide de résumer pour mieux faire comprendre son projet aux habitants du quartier.

Et voilà le lecteur plongé dans un roman colonial, qui se passe dans le milieu anglais des colons de l’Inde, qui finit par basculer, sous l’effet de la stratégie déjà éprouvée d’Aira, celle de la « fuite en avant », dans le roman d’aventure – un roman des plus délirants, qui se termine sans qu’il soit fait de nouveau mention du prospectus, mais quelle importance ? Comme si, pour l’auteur argentin, il n’était gageure plus amusante que transgresser toujours plus insolemment ce que d’aucuns nomment les règles de la narration. Et comme d’habitude avec Cesar Aira, ce qui chez n’importe quel écrivain ferait flop, marche à merveille même si, avouons-le sincèrement, Le Prospectus n’est pas mon livre favori de cet auteur toujours surprenant, toujours enthousiasmant. Mais rien, bien sûr, ne vous interdit de lire ce très bon texte, qui conviendra peut-être mieux à votre bibliothèque intérieure qu’à la mienne. Bonne lecture – si vous voulez lire autre chose, pensez à découvrir l’un des courts romans de Cesar Aira, quel qu’il soit, vous ne le regretterez pas.