
Sublimée par l’excellent acteur chilien Alfredo Castro (vu récemment dans Karnawal dans le rôle d’un voyou sorti de prison, où il était déjà incroyable), celle qui n’a pas de nom, un travesti sur le retour (« Je suis vieille », dit-elle à son jeune ami Carlos, dont elle est évidemment tombée amoureuse), a accepté de cacher à son domicile des « cartons de livres d’art », dans lesquels elle s’aperçoit vite que le jeune homme qui lui a sauvé la mise après une descente de la violente police de Pinochet dans un cabaret de travestis cache en réalité un véritable arsenal. L’adaptation cinématographique est plutôt très fidèle au roman, même s’il a bien fallu couper les chapitres où le lecteur est entraîné par Pedro Lemebel dans la vie de Pinochet et de sa femme. On retrouve les mêmes scènes que dans le roman, l’anniversaire de Carlos avec des enfants du quartier, la scène durant laquelle une bourgeoise qui reçoit « le général » à sa table lui commande une nappe brodée, un travail pour lequel elle tient à ne pas être déçue, les scènes avec les copines travesties du personnage principal. Le regard porté sur ce petit monde des « tafioles » comme les appellent les flics du dictateur est aussi tendre que celui de l’écrivain. Le jeune architecte est lisse, bien moins charismatique que le vieux travesti, mais il prévoit avec ses camarades de combat un attentat contre le tyran. C’est ce qui va soutenir l’intrigue, puisque « la Loca », revenue sans doute de tous les combats amoureux, a encore un cœur capable de s’émerveiller et succombe, fermant les yeux sur ce qui se passe chez elle, cela lui permettant après tout de revoir celui qu’elle aime. Elle se tient pourtant à distance du politique, pour une raison qu’elle explique à son architecte et qu’on ne trouvait pas dans le roman (Lemebel était communiste) : « Il n’y a pas de folles chez les communistes, pas plus que que chez fascistes. Le jour où la Révolution nous fera une place, tu me trouveras au premier rang. »
Tengo miedo, Torero, le titre du film en espagnol, est aussi celui d’une chanson sud américaine traditionnelle. La loca l’écoute en boucle, ce sera le mot de passe qu’elle utilisera avec son « chéri » activiste, en cas de besoin. Aussi le film fait-il une place importante à la musique (en particulier quand le loca rejoue ses anciens numéros de cabaret) et la bande-son mérite qu’on l’écoute hors contexte, avec entre autres un passage du merveilleux traditionnel La Llorona. Quant à la photographie, plutôt léchée, du film, elle participe du plaisir qu’on a à suivre les aventures des deux marginaux. Enfin, les dialogues et la mise en scène laissent une belle place à l’humour. Autant de qualités qui font de Je tremble ô Matador, sinon un grand film, du moins un film auquel on assiste avec plaisir.