
Avertissement : 1. je n’ai pas lu le livre dont je tiens ici la chronique. 2. je n’ai pas lu ma chronique, aussi y trouverez-vous vraisemblablement des erreurs d’orthographe, des coquilles, voire des tournures de phrases lourdes ou maladroites.
Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? La question se pose en effet, et de façon cruciale pour l’auteur de ces lignes puisqu’il n’a pas encore lu Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? et qu’il s’apprête pourtant à le chroniquer, à en rendre compte, par souci de fidélité à l’esprit facétieux de Pierre Bayard, dont il, l’auteur de ces lignes, a déjà rendu compte de l’excellent Il existe d’autres mondes, après avoir lu celui-là, cela va sans dire… Le livre, que je n’ai pas lu dois-je le répéter, mais ça n’interdit pas de le feuilleter et de le parcourir, s’ouvre sur une table des abréviations, que Bayard utilise ensuite dans son essai pour signaler les bouquins dont il parle (et qu’il n’a pas lus, c’est d’ailleurs son métier, il est professeur d’université) : LI livre inconnu ; LP livre parcouru ; LE livre évoqué (catégorie étrange, sans doute des livres dont il a entendu parler) ; LO livre oublié. Il y a également des abréviations sur l’avis du non lecteur des livres dont il parle, mais je n’en parlerai pas ici, vous n’avez qu’à ne pas lire ce livre si vous voulez en savoir plus !
Ouvrons une parenthèse : Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? est pour moi un LE, puisqu’un ami m’en a parlé avec enthousiasme, et un LP, puisqu’avant d’en faire l’acquisition je l’avais feuilleté en librairie et que pour rendre compte de sa non lecture je suis bien obligé de l’ouvrir et de le parcourir. Mon avis sur cet essai, et je vais utiliser une abréviation dont Bayard se sert lui-même pour quelques bouquins (qu’il n’a pas lus) est le suivant : ++ (soit avis très positif). Pour ce qui est des LO, livres oubliés, j’avoue qu’il y en eut dans ma carrière de lecteur un bon nombre. Bonjour Tristesse, par exemple, de Sagan, foule de bouquins de Jules Verne, lus très tôt dans ma carrière de lecteur, quelques bouquins de Sartre (avis –), etc… Ce n’est pas le lieu pour parler de tous les livres que j’ai oubliés. Disons que je garde du premier livre de Sagan le souvenir, peut-être totalement erroné, d’une écriture vive.

Mais revenons à l’essai de Bayard. La première partie s’intitule Des manières de ne pas lire, et s’ouvre sur un premier chapitre, Des livres qu’on ne connaît pas. Premier bon point pour Bayard, il fait usage, pour les non lecteurs de son livre, d’un vieux procédé un peu oublié par les écrivains (sinon Eric Chevillard dans Les Absences du Capitaine Cook, mais pour ne surtout pas résumer les chapitres qu’il présente ainsi), quelques lignes qui donnent une idée du chapitre qu’on se prépare à lire ou pas. Bien joué. Pour le premier chapitre, Où le lecteur verra qu’il importe moins de lire tel ou tel livre, ce qui est une perte de temps, que d’avoir sur la totalité des livres ce qu’un personnage de Musil appelle une vue d’ensemble. Qu’entend donc Bayard par cela ? Rappelant que les lecteurs, même les plus performants, passent leur vie à ne pas lire nombre d’ouvrages, ils se retrouvent sans cesse à parler de livres qu’ils n’ont pas lus. Je reconnais bien volontiers que c’est souvent mon cas, alors que je suis un lecteur boulimique, et que quand la conversation avec des amis littéraires tombe sur Proust, par exemple, qui est un auteur que je déteste franchement, je ne me prive pas d’en dire tout le mal que j’en pense. J’ai entamé le fameux Contre Sainte-Beuve, qui m’est très vite tombé des mains, exactement après avoir lu le récit de sa première masturbation (non par pruderie) qui m’a semblé assez ridicule, même si je reconnais que Proust fut là un novateur, puis m’en suis débarrassé en le donnant, ce qui m’a fait gagner sans nul doute un temps précieux. Les Plaisirs et les jours attend patiemment que ma curiosité pour Proust se réveille. Je ne l’ai même pas ouvert, il s’agit donc pour moi d’un LI, mais mon avis sur cet opus est — ! J’ai par ailleurs lu un « best of » des textes du grand Marcel (cet écrivain maladif et riche qui passait sa vie au lit, à écrire et, j’imagine, lire, parfois d’une seule main), tirés de son œuvre romanesque et portant tous sur la ville de Venise. Une phrase d’une lourdeur écœurante, des clichés à foison, des références constantes à la maman du narrateur, quelle purge !

Mais revenons à l’essai de Bayard. « Je n’ai jamais « lu » Ulysse de Joyce et il est vraisemblable que je ne le lirai jamais. » avoue-t-il honnêtement dès le premier chapitre, ce qui nous fait un point commun. J’ai lu les 130 premières pages de ce drôle de bouquin (avis de non lecteur : +) et ai jeté l’éponge en me disant que l’on n’est pas obligé de se faire violence à ce point. Les mille pages qui restent attendront bien. Tout comme moi, Bayard sait situer Ulysse par rapport à d’autres livres d’importance, comme L’Odyssée, sait qu’il appartient au courant du flux de conscience et que son action se déroule en vingt-quatre heures (en fait, un peu plus). Conclusion : il peut en parler sans sourciller à ses étudiants.

Le chapitre deux traite des livres qu’on a parcourus, passons là-dessus, le suivant des livres dont on a entendu parler. Dans ce cas, comme Ecco le signalait, il faut alors pour parler des livres qu’on n’a pas lus, lire d’autres livres à leur sujet ou écouter ce qu’en disent leurs lecteurs. L’ami qui m’a recommandé Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?, un grand lecteur devant l’éternel, m’a dit qu’il serait rempli de pistes de propositions d’écriture dont je ferais sans doute ma nourriture pour les ateliers d’écriture que j’anime. On verra ce qu’il en est après lecture…
Mais revenons à l’essai de Bayard. Il conclut ce chapitre sur l’idée que le livre, qu’on l’ait lu ou non, est un objet fantasmatique, sur lequel nous discourons avec un certain manque de précision, et que nous reconstruisons. On ne peut qu’être d’accord avec cette affirmation : les livres n’existent pas en tant qu’objets uniques. Autant de lecteurs, autant de livres, et même si on parle tous d’un seul livre !
Le chapitre quatre traite des livres qu’on a oubliés. Nous en sommes au point ou un livre lu n’est pas différent d’un livre parcouru (qui est capable, sauf les derniers des lecteurs dans le roman de SF Fahrenheit 451, de dire par cœur un livre entier ?). Présentation du chapitre : « Où l’on pose, avec Montaigne, la question de savoir si un livre lu et complètement oublié, et dont on a même oublié qu’on la lu, est encore un livre qu’on a lu. »

Dans la deuxième partie, Bayard s’intéresse aux situations de discours dans lesquelles le non lecteur est amené à parler des livres qu’il n’a pas lus. Dans la vie mondaine et face à un professeur forment les deux premiers chapitres, sur lesquels nous passerons rapidement. Rassurez-vous, l’auteur traite ces situations en partant chaque fois d’un livre (non lu, cela va de soi). Très bon exemple, celui d’une tribu d’Afrique de l’Ouest, à qui une anthropologue raconte Hamlet dans le but de prouver que les hommes et la nature humaine sont les mêmes partout et qu’une pièce comme Hamlet peut donc être comprise de façon identique par tout lecteur, quelle que soit sa culture. Il va de soi qu’elle fait chou blanc, les Tiv (nom de la tribu en question) l’interrompant sans cesse pour lui faire part de leur incompréhension devant les situations proposées par Shakespeare, au point qu’elle en arrive à sauter certains passages dont elle sait qu’ils poseront problème et soulèveront des discussions et des critiques de la part des auditeurs… Conclusion, les Tiv et l’anthropologue parlent d’un livre, les uns ne l’ayant pas lu, avec précision, mais le livre dont ils parlent est imaginaire, ce qui permet à Bayard d’introduire un premier concept, celui de livre intérieur (« ensemble de représentations mythiques, collectives ou individuelles, qui s’interposent entre le lecteur et tout nouvel écrit, et qui en façonnent la lecture à son insu. »)
Plus délicat encore, parler d’un livre qu’on n’a pas lu devant son écrivain (chapitre que nous passerons sous silence), devant un être aimé que l’on veut séduire en parlant des livres qu’il aime (et qu’on n’a pas lus). On en arrive alors à la troisième partie, qui propose des conduites à tenir quand on parle des livres qu’on n’a pas lus : ne pas avoir honte, imposer ses idées, inventer les livres, parler de soi. Dans ce quatrième chapitre, l’auteur fait référence à Oscar Wilde, pour qui la bonne durée de lecture d’un livre est de six minutes, l’essentiel quand on parle d’un livre étant pour l’écrivain anglais de parler de soi. La critique est pour lui un art, « la voix d’une âme » et cette âme en est l’objet profond, pas le livre dont on parle ! Conclusion : « le discours sur les livres non lus nous place au cœur du processus créatif ». Dans l’épilogue de cet essai que je n’ai pas lu, Pierre Bayard, avec la fantaisie qui est la sienne, avec un goût certain pour le paradoxe et la provocation, propose à son non lecteur de revoir sa relation aux livres, et en particulier de ne plus les concevoir comme des objets intangibles auxquels il serait interdit de faire subir la moindre transformation, chose que nous faisons pourtant inconsciemment. Le livre étant un objet mouvant (chaque lecteur a son livre intérieur), en parler quand on ne l’a pas lu est un acte de création qui mène tout droit à l’écriture, ce à quoi Pierre Bayard invite les non lecteurs (qui sont des lecteurs actifs) aussi bien que les lecteurs passifs (ceux qui lisent les livres dont ils parlent).
Ma chronique en arrive à sa fin. Ce livre de Pierre Bayard, essayiste particulièrement créatif et intelligent, est un objet étrange, que je vous invite à ne pas lire pour mieux en parler et vous engager ainsi sur la voix de l’écriture.