
Classique de la littérature russe, Oblomov offre à son lecteur l’étude d’un caractère (Oblomov est un paresseux que rien n’arrive à sortir de son lit durablement, pas même l’amour, un homme qui procrastine, un homme qui renonce à tout sauf à sa paix) et une étude de l’ancien régime russe et de la petite noblesse qui ne travaille pas (Oblomov va même jusqu’à abandonner l’exploitation de sa propriété terrienne, se faisant voler par ses paysans et son staroste, l’homme qui dirige les travaux de son exploitation, au point de sombrer dans l’indigence jusqu’à ce que son seul ami prenne les choses en main pour lui éviter la ruine). Bien sûr les révolutionnaires russes se sont emparer du livre en y voyant une critique, voire un pamphlet contre le régime, mais Gontcharov ne se préoccupe pas, quand il écrit cet grand roman, de critique sociale, il ne juge à aucun moment son personnage ni ne le défend (de ce point de vue, Adamov était le traducteur tout désigné pour nous offrir le texte en français). Tout juste Stolz, l’ami allemand d’Oblomov, lui fait-il quelque critique en le traitant en homme impossible et en essayant de le faire sortir de son apathie et de sa léthargie. Mais le narrateur se garde bien d’évaluer le personnage.
L’Oblomovtchina (terme qu’emploie Stolz pour parler de la maladie de l’âme de son ami) est le sujet principal du livre. Après une première partie qui consiste en une longue description d’Oblomov, de sa langueur maladive, de son valet (au moins aussi paresseux que lui), et des quelques personnages qui lui rendent visite (parfois pour lui soutirer à manger et quelques kopecks) ; il s’agit donc d’une partie consacrée à des portraits qui se succèdent sans que le lecteur s’ennuie pour autant. La deuxième partie est centrée sur Stolz, un jeune homme d’une trentaine d’années avec qui Oblomov a grandi et fait ses études. Actif, curieux du monde, Stolz est l’anti-Oblomov, un homme qui bouge et veut réussir dans la vie. Pour Oblomov, sortir de sa chambre est impossible ou presque, voyager une idée ancienne bien oubliée. Constatant, en le retrouvant après un assez long temps de voyage, que son ami est devenu un irréductible sédentaire, il le secoue, l’oblige à manger en ville chaque soir, à sortir, et lui impose de l’accompagner en voyage à travers l’Europe. Comme Oblomov trouve une feinte pour ne pas partir au même moment que l’Allemand, il est décidé qu’il le rejoindra à Paris. Ce qui n’aura jamais lieu, bien évidemment. Avant son départ, Stolz présente à son ami une jeune femme de vingt ans, Olga, à qui il donne pour mission de faire bouger Oblomov. Ces deux-là vont tomber amoureux dans la troisième partie du roman, mais bien sûr, face au dynamisme et à la soif de vivre d’Olga, la force d’inertie d’Oblomov, motivée par des problèmes financiers qu’il utilise pour justifier son renoncement, va l’emporter et faire échouer l’aventure amoureuse et les objectifs de mariage et de vie commune.
La dernière partie ramène notre personnage (un mythe, sans nul doute) à sa passivité de départ. Seule la situation a changé. Olga et Stolz ne sont pas oubliés, Tarantiev, un fieffé coquin qui se dit l’ami d’Oblomov mais ne pense qu’à le ruiner en sa faveur, réapparaît, une veuve, propriétaire de l’appartement où Oblomov s’installe définitivement, et son frère, tout aussi bien inspiré que Tarantiev avec lequel il fait équipe, font désormais partie du paysage. L’intrigue va trouver un dénouement dont on ne donnera pas la teneur. Oblomov est bien un très grand livre, un mythe moderne est né avec ce personnage dont la propension au renoncement n’est peut-être pas seulement une maladie, mais bien plutôt un mode de vie que seule l’âme russe pouvait développer à un tel point d’achèvement. Oblomov est un anti-héros avant l’heure (rappelons que le livre sort en 1859), mais un personnage qui trouve dans le renoncement non la souffrance, mais une certaine forme de paix et de sagesse. La pureté de son âme ne fait aucun doute (Stolz et Olga ne s’y trompent pas), et si, selon que le lecteur aime les belles histoires d’amour ou l’action, il trouvera notre paresseux que rien ne peut faire bouger ou changer insupportable, il n’en reste pas moins que sa névrose est remarquable et digne d’intérêt et qu’on ne peut en rien finir le livre « fâché » avec lui. Un livre à lire sans faute si ce n’est déjà fait.
« sans que le lecteur s’ennuie pour autant ». Outch, non ! J’ai trouvé ce roman indigeste.
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