
« Genet me manque, son regard me manque, ses critiques aussi. Il m’a aidé, à son insu, il m’a libéré de l’attrait pour la vanité, pour le paraître et la complaisance. Son ombre est parfois là ; elle surgit quand j’écris; quand j’ai un doute. Je tourne chaque phrase plusieurs fois dans ma tête avant de l’écrire. C’est pour cette raison que mes manuscrits comportent peu de ratures. Comme Genet, je reprends tout le chapitre. Je déchire ou efface et réécris. J’ai appris cela de lui sans qu’il me l’ait enseigné. J’imagine ce qu’il aurait fait, ce qu’il aurait dit. Peut-être que je me trompe, peut-être que Genet avait une exigence d’une autre envergure. Mais en le côtoyant durant une quinzaine d’années, avec quelques interruptions, j’ai appris ou deviné ce qu’il exigeait d’un écrivain, d’un créateur. Il était tellement lucide, tellement tranchant qu’il ne fallait surtout pas jouer devant lui un rôle, faire semblant ou mentir. Le mensonge était pour lui une autre affaire. il était capable de nier l’évidence, mais pas sur le fond, juste à propos de la forme. »
Tahar Ben Jelloun, Jean Genet, Menteur sublime