« Féroce et pur j’étais le lieu d’une féérie qui se renouvellait. »
« Je nomme violence une audace au repos amoureuse des périls. On la distingue dans un regard, une démarche, un sourire, et c’est en vous qu’elle produit les remous. Elle vous démonte. Cette violence est un calme qui vous agite. »
« Mon trouble semble naître de ce qu’en moi j’assume à la fois le rôle de victime et de criminel. En fait même, j’émets, je projette la nuit la victime et le criminel issus de moi, je les fais se rejoindre quelque part, et vers le matin mon émotion est grande en apprenant qu’il s’en fallut de peu que la victime reçoive la mort et le criminel le bagne ou la guillotine. Ainsi mon trouble se prolonge-t-il jusqu’à cette région de moi-même : la Guyane. »
« La multiplicité de leurs lignes morales, leurs sinuosités forment des entrelacs que je nomme l’aventure. Ils s’écartent de vos règles. Ils ne sont pas fidèles. »
« Puis-je dire que c’était le passé – ou que c’était le futur ? Tout est déjà pris, jusqu’à ma mort, dans une banquise de étant : mon tremblement quand un malabar me demande d’être mon épouse (je découvre que son désir c’est mon tremblement) un soir de Carnaval ; au crépuscule, d’une colline de sable la vue des guerriers arabes faisant leur reddition aux généraux français ; le dos de ma main posée sur la braguette d’un soldat, mais surtout sur elle le regard narquois du soldat ; la mer soudaine entre deux maisons m’apparait à Biarritz ; du pénitencier je m’évade à pas minuscules, effrayé non d’être repris mais de devenir la proie de la liberté ; sur sa queue énorme que je chevauche un blond légionnaire me porte vingt mètres sur les remparts […] ma vie doit être légende c’est à dire lisible et sa lecture donner naissance à quelque émotion nouvelle que je nomme poésie. Je ne suis plus rien, qu’un prétexte. »
« Mon courage consista à détruire toutes les habituelles raisons de vivre et à m’en découvrir d’autres. »
et Bob il peut comme ça
revisionner des inédits
le long du trottoir il prend
toute la place
[…]
dans un néon palmier la voix de l’objectivité applique
à toute chose la notion de fleur
« La poésie d’Anne Portugal n’est complexe qu’en apparence. Outre que l’expérience est stimulante, une certaine clarté s’y fait, voire une transparence. Mettant en scène ce fameux bob dont on se dit qu’il pourrait bien être la poésie elle-même, Définitif bob peut être lu comme une description de la mécanique d’écriture, une définition en acte, mode d’emploi en simultané d’un dispositif virtuel dont l’efficacité serait prouvée à mesure de son application…
Définitive est l’affirmation selon laquelle ce qui est écrit est écrit, ce qui brutalement et merveilleusement signifierait que ce texte le plus inattendu aurait quelque réalité dans la vie du lecteur : tout cela pourrait arriver ?
« mais bob il peut comme ça gazelle accélérer dans les derniers tournants » et alors on ne garantit rien : aux portes du paradis les dérapages sont durables et définitifs. »
(Xavier Person, Durable définitif, Le Matricule des Anges, Septembre 2002)
Premier album du batteur londonnien Moses Boyd chez Exodus Record, Dark Matter élargit son champ d’action en fusionnant jazz, musiques électroniques et Hip-hop. Un détournement des genres particulièrement présent dans les titres ‘Only You’, ‘2 far gone’ et ‘Dancing in the dark’, et une exploration de la porosité des musiques actuelles.
Irreversible Entanglements s’associe à la voix âpre de Moor Mother dans un disque NRV et revanchard. Les textes politiques de la chanteuse collent au free jazz des new-yorkais. « The pope must be drunk, going mad ! »
Moor Mother de nouveau ! Elle a la côte et ça n’a pas l’air de se calmer. Elle travaille ici avec Mental Jewelry, pour un album beaucoup beaucoup plus punk et tendu que tout ce à quoi prétendent les boys band actuels se réclamant du genre. Punk + Jazz = <3. Look alive, c’est le cas de le dire.
Un peu plus de douceur pour finir : Hailu Mergia est un claviériste éthiopien qui sort ici un disque apaisé, parfait pour profiter du mois de juin et se détendre un peu après toute cette fusion énergique.
« Someone told me that you should always be searching ; but I am not searching for anything ; I film because it makes me happy. » Si certaines oeuvres sont écrasantes et impressionnent par leur complexité et leur technicité, d’autres donnent l’impression d’une grande simplicité, une simplicité suffisante à l’appréhension du monde. Walden est composé d’une série de scènes filmées au jour le jour, de 1964 à 1968, par le cinéaste d’avant-garde Jonas Mekas. Il fonctionne comme un journal sans trame narrative, structuré en quatre parties, et qui rend compte de la vie du cinéaste à NY et de la contre culture des années 60. Les séquences de mariages, les lectures de poésies et les promenades à Central Park sont rythmées par la voix du narrateur et par les musiques qu’il écoutait au cours de ces années ; le montage est vif, la prise de vue tremblante, les plans se superposent et se nourrissent des uns les autres. La caméra de Mekas devient une parabole qui lui permet de toucher et saisir ce qui l’entoure, de faire vivre les images entre elles sans en exiger du sens : comme de la poésie, la vie nue qui rentre dans le film. Ce serait peut-être la manière de travailler la plus évidente et la plus libre.
Un homme en voiture traverse les paysages arides de la banlieue de Téhéran, et cherche un ouvrier qui accepterait de travailler pour lui. On comprend vite que ce travail qu’il demande n’est pas ordinaire, ne peut pas être accepté de bon coeur, mais on comprend vite aussi que l’homme qui cherche est désespéré et prêt à employer n’importe qui. La trame narrative se déploie lentement, par allusions, par non-dits, car ce que cherche cet homme est quelque chose de trop grave et trop tabou. Ce qui frappe chez Kiarostami, c’est que son film tient sur un fil ténu, par les dialogues et la succession des mêmes paysages désertiques, c’est l’économie de moyens et de détails romanesques qui lui permet de dévoiler avec douceur le drame en train de se jouer, et les liens secrets qui unissent les vivants, les morts, et le monde qu’ils partagent.
Comment soigner les malades de la société ? Comment traiter les maladies lorsque leurs causes sont la pauvreté, la précarité et les violences de classes ? Comment penser alors que le fait de soigner est suffisant ? Barberousse raconte l’histoire d’un dispensaire du 19ème siècle, au Japon, et des médecins qui y vivent. Alors qu’on est habitués à ce que Kurosawa filme des scènes de batailles en plein air et des personnages en mouvement, Barberousse est un film plus resserré, plus statique, car rythmé par les séquences de soin dans les pièces étroites du dispensaire d’Edo. Inspiré par Dostoïevski, il s’inscrit aussi très fortement dans un traitement des réalités sociales et du romanesque très 19ème. «Derrière toute maladie, il y a l’histoire d’une grande infortune », dit le médecin Barberousse, conscient que soigner les individus ne suffit pas, qu’il faudrait aussi transformer leurs conditions de vie. Mais il y a de l’espoir malgré tout : soigner les autres c’est aussi se soigner soi même, soigner les enfants c’est soigner le futur, et il est possible ainsi de créer un cercle vertueux. Dans une scène incroyable, des hommes opèrent un enfant dans l’hôpital pendant que des femmes, dehors, des femmes qui n’ont pas la possibilité de faire des études de médecine, hurlent dans un puit afin de rappeler l’esprit de l’enfant, coincé entre la vie et la mort. On comprend alors que la médecine n’est pas juste un ensemble de techniques et de savoirs, mais une éthique du soin qui nous concerne tous.