Perfect Days, Wim Wenders

Un film parfait, au titre parfait (clin d’oeil au morceau de Lou Reed, sans le pluriel de Wenders), Perfect Days nous fait suivre un employé des toilettes publiques de Tokyo, chargé de leur entretien et de leur hygiène. Hirayama est un drôle de personnage. Il semble que son objectif dans l’existence soit de faire de chaque instant de sa vie un petit moment de perfection. Pour cela, il a développé un ordre quasi maniaque dans son quotidien : chaque matin, en se levant, il plie sa literie et son futon minimaliste ; chez lui chaque objet a sa place et l’ordonnancement de son appartement en duplex est de type feng shui ; dans sa camionnette, son matériel de travail est impeccablement rangé dans une étagère en bois qu’il a évidemment aménagée lui-même. Et tout est de l’ordre du rituel dans ses journées : après s’être levé avoir pris une douche, il s’occupe d’arroser les plants d’arbre auxquels il a consacré une pièce (il les prélève régulièrement, entre les racines de « son » arbre, dans un parc où il photographie la canopée du même arbre, depuis le même banc où il s’assied chaque midi, non loin d’un autre où se tient la même femme à qui il adresse parfois, avec une certaine confusion, un sourire timide). Puis il revêt son bleu de travail, prend quelques objets avant de sortir, qu’il reposera au même endroit en rentrant, ouvre la porte, sort, s’immobilise regarde le ciel et sourit. Puis il va ouvrir sa camionnette, va se servir un café froid en cannette au distributeur placé à quelques pas, démarre après avoir glissé une cassette audio dans son autoradio. Il écoute beaucoup de musique américaine des années 60/70 (Patti Smith, Horses ; Lou Reed…). Chez lui, dans sa chambre, deux longues étagères basses (deux rayons) sont pleines de K7.

Lorsqu’il arrive au travail, sa démarche est aussi organisée et sans faille que son rituel matinal. Il sort son matériel, un panneau de prévention (sol glissant) et fait son travail, qu’il ritualise, avec un sens évident de la conscience professionnelle. Wenders se plaît à filmer ces toilettes publiques, d’un design surprenant et artistique, des pièces uniques d’une beauté certaine. Il se plaît à filmer la journée d’Hirayama, sa semaine, jusqu’au week-end. Le samedi d’Hirayama est à l’image des jours de sa semaine, ritualisé. Laverie (tournée de linge de la semaine), librairie (où il achète un roman, américain de préférence (un bouquin un peu rare de William Faulkner), mais pas seulement (une autre fois, c’est un roman d’une japonaise, inconnue en Europe ou un livre de poésie de TS Elliot). Chaque fois, la libraire lance un commentaire éclairé sur l’auteur, Hirayama ne dit rien. Quand la pellicule de son petit appareil argentique est terminée, il la dépose chez un photographe, en achète une autre, ou bien s’y rend pour récupérer les photos de la dernière pellicule confié aux soins du professionnel. De retour chez lui, il trie ses photos (quasiment toutes des photos de son arbre, sauf exception) et place celles qu’il conserve dans une belle boîte (avec inscrit sur sa face visible dans l’armoire le mois et l’année), se contente de déchirer celles qui ne lui conviennent pas.

Au travail, Hirayama est le supérieur hiérarchique d’un jeune homme qui est son opposé (bavard impénitent, peu sérieux dans son travail, loufoque et extraverti…). Progressivement, dans cette routine que Wenders se plaît à filmer, des rencontres vont venir apporter au film un intérêt qui risquerait autrement de retomber, et la moindre de ces rencontres n’est pas ses retrouvailles avec sa nièce qui a fugué de chez sa mère (l’exact contraire d’Hirayama, une femme pour qui la réussite sociale compte plus que tout, qu’Hirayama a décidé de ne plus voir, une femme plutôt dure et insupportable, à l’évidence). Chacune de ces rencontres semble toucher le personnage et l’amener à changer intérieurement.

Le film est parfait parce que, dans cette vie de routine, la façon de filmer de Wenders trouve moyen de mettre de la beauté (la ville et ses noeuds routiers, quand Hirayama se déplace en camionnette et en écoutant la musique qu’il aime). Le film est parfait parce que Wenders fait de cette suite de journées qui se ressemblent tant une sorte de recueil de poésie douce et belle. Le film est parfait parce que sa bande-son est parfaite. Le film est parfait parce qu’il se dégage du personnage principal et de sa vie une émotion douce, bonheur ou tristesse, qu’importe, parce que le regard qu’il porte sur les autres est sans jugement, parce que l’oeil de Wenders est semblable à celui de son personnage… Et le film prend fin sur un plan parfait, dans lequel l’acteur qui incarne Hirayama, Koji Yakusho, montre une dernière fois toute l’étendue de son talent. Renouer avec le cinéma après quelques mois d’abstinence avec un film comme Perfect Days était sans doute une très bonne idée.

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