Rencontres de la photographie 2022, Arles

Que retenir de cette édition 2022 des Rencontres de la photographie d’Arles ? Hélas, trois fois hélas, pas grand-chose. Beaucoup plus de déceptions que de découvertes enthousiasmantes, de vrais manques par rapport à une période, de plus en plus lointaine dans le temps, où Arles était synonyme de découverte heureuse de photographes d’art géniaux, d’engouements variés et de révélations. Mais aussi de rétrospectives de grands noms toujours pleines de belles émotions esthétiques. L’appel à la collection Verbund, pour une exposition colossale consacrée aux photographes femmes, plus qu’intéressante, parfois pleine d’humour, mais aussi trop exhaustive pour être d’un niveau égal, certes… La découverte de quelques pièces (trop peu), plus proches des démarches de l’art contemporain que de la photographie pure, de Noémie Goudal (excellente artiste aux idées vraiment novatrices), certes…

Et rien de plus, ou presque, sinon sans doute une rétrospective bienvenue consacrée à un petit maître méconnu, mais dont certains clichés plein d’humour sont parfois passés dans le domaine commun, sans qu’on sache leur associer le nom du photographe en question. On y découvre que Romain Urhausen s’est essayé avec réussite, outre à une photographie de rue ou de portrait classique de grande qualité, à la photographie graphique, au nu et à une photographie expérimentale, pour résumer en une seule catégorie ses différents essais, avec un bonheur certain. C’était là, sans doute, l’exposition la plus satisfaisante de cette édition des Rencontres d’Arles, c’est maigre, c’est bien maigre, mais tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, car dans AMA, la revue gratuite de la LUMA d’Arles, le directeur des Rencontres, Christoph Wiesner peut soigner son égo en décrivant par le menu son travail de programmation à longueur de pages, et en évoquant, entre autres programmes de partenariat, les programmes BMW et Pernod Ricard (un petit jaune, Christoph ?). Il est vrai que la journaliste qui l’interviewe lui sert gentiment la soupe en posant des questions anodines et sans la moindre chausse-trappe, lui permettant d’étaler son auto-satisfaction. On attendra encore un an pour retrouver l’enthousiasme des années passées, quand les Rencontres d’Arles étaient un vrai motif de satisfaction et de plaisir esthétique, inch’allah !

Maison Européenne de la Photographie, Paris – Love Songs

MEP Paris, Love Songs, l’une des plus belles expositions vues dans ce lieu magique de la photographie d’art, à égalité sans doute avec celle consacrée il y a une dizaine d’années à Sebastiao Salgado et à son magnifique reportage planétaire, Genesis, c’est dire l’intérêt de ce tour du monde de l’amour en une douzaine de photographes différents. Et ça commence avec René Groebli, qui photographia sa femme, Rita Dürmüller, l’année de leur mariage (1952), pendant leur lune de miel dans un petit hôtel parisien.

Première déclaration d’amour sensible et romantique de cette exposition collective, dont les quelques clichés qui suivent sont extraits…

Et ça se poursuit, salle suivante, avec Emmet Gowin, un photographe que je ne connaissais pas, qui va photographier sa compagne Edith tout au long de leur vie. « Un moyen de retenir, intensément, un moment de communication entre un être et un autre. », selon l’auteur de ces beaux clichés dont les moins émouvants ne sont sans doute pas ceux de la période de la maturité de sa femme et modèle. Très beau, très sensuel hommage à la femme. « Si vous vous mettez à faire des images sur l’amour, c’est impossible. Mais vous pouvez faire des photos, et vous pouvez être amoureux. De cette façon, les gens sentent l’authenticité de ce que vous faites. » dit encore Gowin, ce que les belles photos suivantes démontrent clairement.

L’exposition se poursuite avec l’un de mes photographes japonais préférés (avec Fukase et bien d’autres), le justement célèbre, pour ses excès et son talent, Nobuyoshi Akari. Sentimental Journey, daté de 1971, et Winter Journey (1989-1990) nous présentent le voyage de noces de Yoko et son jeune mari et les derniers mois de Yoko, avant un décès survenu alors qu’elle n’avait que quarante-deux ans. Akari connaîtra ensuite une carrière fulgurante, dans lequel le cors des femmes restera pour lui un éternel objet d’inspiration et de création artistique.

« Voyage sentimental est le fruit de mon amour, et de ma détermination en tant que photographe. J’ai choisi l’amour pour débuter comme photographe et le hasard a voulu que ce commencement soit un roman personnel. J’ai l’impression que c’est le roman personnel qui se rapproche le plus de la photographie. » commente l’auteur.

Hervé Guibert est connu autant comme romancier que comme photographe. En 1976, il rencontre Thierry et en fait le personnage central de ses livres et de son œuvre photographique durant quinze ans. Une fois encore authenticité et beauté se sont donné rendez-vous, et l’amour transparaît dans ces clichés d’une subtile tendresse. Ce que confirme l’auteur dans cette déclaration d’intention pleine de délicatesse : « Dans l’écriture, je n’ai pas de frein, pas de scrupules, parce qu’il n’y a que moi, pratiquement, qui suis en jeu, tandis que dans la photo, il y a le corps des autres, des parents, des amis, et j’ai toujours une petite appréhension : ne suis-je pas en train de les trahir ? Je ne fais qu’une chose : témoigner de mon amour. »

Il y a encore Nan Goldin, dont l’art photographique surprend toujours, entre vulgarité sans concession de la pornographie et regard artistique d’une grande pureté, dans un univers punk à souhait qui n’est pas sans faire penser à celui, en littérature, d’une Virginie Despentes…

Evoquons encore une découverte réjouissante, RongRong&inri, photographe à deux têtes, des deux côtés de l’appareil, opérateur et modèle, lui chinois, elle japonaise, amoureux et qui ne partagent qu’une langue, celle de leur art (il s’écrivent malgré tout grâce aux idéogrammes chinois, communs à leurs deux langues). Travail magnifique…

Mentionnons encore Lin Zhipeng, qui vit à Pékin, et photographie une jeunesse chinoise qui vit sans interdit et dans la plus grande légèreté de l’être, avec une approche digne de l’art contemporain et plutôt innovante. Jugez-en par ces quelques clichés…

Et nous finirons par la troublante Hideka Tonomura, avec son Mama Love de 2007 centré sur l’intimité amoureuse de sa mère (!) qu’elle nous montre avec son amant dont elle a « cramé » l’image afin qu’il apparaisse au lit comme un Fantomas noir…

Il aurait été impossible d’être exhaustif avec cette exposition collective, dont l’essentiel de mon point de vue est rappelé ici afin de faire regretter cruellement aux quelques lectrices et lecteurs de ce blog qui n’auraient pas fait la démarche de se rendre à la MEP pour cet événement d’une qualité remarquable, dont le commissaire d’exposition n’a vraiment pas raté son coup, d’avoir laissé passer la date du 21 août 2022, date fatidique de fin de Love Songs…

Devenir, Peter Lindbergh – Pavillon Populaire de Montpellier

Les commentateurs de la photographie de mode nous servent toujours un argument fort, comme pour s’excuser d’admirer un photographe qui a travaillé en grande partie avec des modèles (devenues pour certaines des stars grâce à la puissance du milieu de la haute couture), pour des magazines qui reconduisent sans vergogne les stéréotypes sur la femme, et de nous en assurer, donc, le photographe de mode dont vous allez voir les clichés n’est pas un photographe de mode comme les autres, c’est un véritable artiste, un vrai photographe. Avec Peter Lindbergh, comme avec les autres, quelle que soit leur approche, l’argument fonctionne encore. Mais pour Lindbergh, c’est le respect de la femme qui l’emporte, une forme d’anti-sexisme presque avant l’heure, et puis bien sûr, l’art photographique (la photo de mode élevée au rang d’art, comme s’il était le premier à s’y être collé… La photographie qui suit ne me semble pas l’exemple même d’une photo qui ne chosifie pas les femmes, mais peu importe, elle est vraiment très belle…

C’est donc à une rétrospective que le Pavillon Populaire invite les amateurs de photo (qu’elle soit de mode ou non) et, comme chaque fois avec ce genre d’exercice on a le droit aux premiers pas du maître, qui a commencé par un « pèlerinage » à Arles (un grand tournesol en noir et blanc est sans doute une sorte d’hommage à Van Gogh…), puis aux différentes étapes de sa carrière jusqu’à la consécration, bla-bla-bla… et aux interactions photographiques avec la littérature et le cinéma (hommage à Nabokov, avec une Lolita, qui n’est pas sans évoquer le Wim Wenders de Paris Texas. Quand on vous disait que Lindbergh est un artiste ! Quelques citations du maître, ici et là, en début de salle nous en livrent l’essence de la pensée artistique : « Avec le noir et blanc on n’essaie pas de faire plus joli, de faire chic ou de faire agréable, non, c’est authentique… La couleur s’arrête en surface. Le noir et blanc pénètre la peau : pour moi, il ne s’agit pas de beau ou pas beau, mais de vrai ou pas vrai. » Bien joué Peter, et nous voilà confronté aux portraits (grands tirages) de quinze beautés on ne peut plus vraies. Puis, à des photos, toujours en noir et blanc, de danse (quand on vous disait que Peter Lindbergh est un artiste), quand Peter photographiait Pina Bausch et sa troupe. Bref, Peter Lindbergh est un photographe qui aimait photographier les femmes, le faisait très bien et avait parfois des idées de fou. La photographie qui suit peut sans doute être vue comme une espèce de stéréotype à la noix du cinéma hollywoodien, mais elle me semble vraiment marrante…

Pour en revenir au thème du féminisme de Lindbergh, une ou deux petites citations plutôt sympathiques du gars : « Mon idéal a toujours été les femmes que j’ai rencontrées en école d’art, très indépendantes et qui n’avaient besoin de personne pour dire ce qu’elles avaient à dire. » et « La beauté, c’est le courage d’être soi-même, contre la terreur de la jeunesse et de la perfection. » Voilà, pas grand-chose de plus à dire sur cette rétrospective, sinon que Peter Lindbergh était un grand photographe, et qu’il avait le droit de travailler pour la mode (sans qu’il y ait besoin de l’en excuser), comme d’autres avant lui, ah ! Helmut Newton…

Mers et rivières, Andreas Müller-Pohle

Dans le cadre d’un début d’année consacré à l’eau, le Pavillon Populaire de Montpellier consacre au photographe allemand Andreas Müller-Pohle (après la première exposition Eaux troublées du photographe canadien, Edward Burtynsky, qu’il resterait à chroniquer ici…) une exposition troublante, entre documentaire et photo d’art, entre malaise et émerveillement. C’est au début du siècle que Müller-Pohle a commencé à photographier l’eau dans le monde, ne relâchant pas ses efforts dans des projets qui l’ont mené à Hong-Kong, et dans les territoires nouveaux, en Europe, en consacrant au Danube une série sur laquelle nous reviendrons plus loin, et à Kaunas (Lituanie), où deux rivières (l’une masculine, le fleuve Niémen, l’autre féminine, la Néris) confluent.

L’eau apparaît dans ces trois reportages, tous présentés au Pavillon Populaire, en grand danger. L’élément numéro un de notre planète dite bleue est malade, aussi bien que l’air ou la terre. Le responsable est l’homme, nul besoin de le préciser, ce qui saute aux yeux dans la série consacrée au Danube (datée de 2005), dont le photographe a fait un portrait exhaustif en le suivant dans tous les pays où il passe (Allemagne, Autriche, Slovaquie / Hongrie, Croatie, Serbie / Bulgarie / Roumanie, soit quatre voyages au total, parqués ici par l’usage du slash) : au bas de chacune des photos exposées, sur une ligne sans autres commentaires, les taux de nitrate, de phosphate, de potassium, de cadmium, de mercure, de plomb relevés dans chacun des lieux où sont prises les photos, après analyse des échantillons prélevés par Müller lui-même. Voilà pour l’aspect documentaire de la série, qui glace le sang, attriste le spectateur et donne à penser bien mieux et bien plus que tous les commentaires que l’artiste aurait pu proposer sur la situation chimique du fleuve. Mais, et c’est là où l’exposition peut provoquer une certaine forme de malaise, les photographies, toutes prises selon le même procédé, sont d’une beauté et d’une poésie qui subjugue le regard. Le photographe s’immerge avec son matériel dans tous les sites qu’il souhaite photographier, et œuvre à flanc d’eau, ce qui a pour résultat de proposer des clichés dans lesquels terre et eau sont présent (50/50, mais pas systématiquement) et de convoquer le hasard, en fonction des vagues au moment du clic. On est pris entre émerveillement devant la nature hautement artistique des œuvres et la petite ligne du bas, qui nous rappelle que la planète est en grand danger, qui nous invite à assister intellectuellement à la catastrophe. Cette opposition entre les deux aspects des clichés consacrés au Danube, fleuve mythique s’il en est en Europe, est une pure réussite, qui provoque chez le spectateur un double sentiment quasi schizophrénique.

Le projet consacré à la confluence de Kaunas est beaucoup moins angoissant que le précédent. Réalisé en une semaine par l’auteur lors d’une résidence d’artiste en 2017, il propose des clichés à l’atmosphère bucolique la plupart du temps, Kaunas étant une bien petite ville. Les rives des deux rivières sont naturelles et, comme le dit Müller-Pohle, « Les scènes de nature et les images de paysage intact sont donc les motifs dominants de ce projet ».

Enfin, le reportage consacré à Hong-Kong et aux nouveaux territoires (2009-2010) a été inspiré à l’artiste par sa fréquentation des lieux durant de nombreuses années, un lieu dont il dit qu’il le fascine. c’est cette fois le portrait d’une ville, « une ville d’eau confrontée depuis des décennies à la hausse permanente du niveau de la mer, et où l’élément aqueux représente à la fois la vie et une menace ». les photos sont, là encore, merveilleuses et surprenantes. On sort donc de cette exposition marqué par la qualité du travail d’un photographe qu’on ne connaissait pas encore, persuadé d’avoir eu de la chance de découvrir cette œuvre, à travers trois projets différents, et sur une période de vingt ans. Seul petit bémol, l’aspect très répétitif du procédé photographique mis en œuvre par Andreas Müller-Pohle, qui donne des clichés qui sont très semblables, même si les lieux sont divers et variés. (Pour voir quelques clichés de cette exposition, voir page Photographie du blog)

Pentti Sammallahti, Miniatures

Au Musée Charles Nègre de la photographie de Nice, du 18 septembre 2020 au 24 janvier 2021, nous est proposée une exposition exceptionnelle en ce qu’elle est consacrée à un photographe finlandais dont l’œuvre est à découvrir si on ne la connait pas encore (et à revoir si on ne la découvre pas…), une œuvre d’une beauté rare, poétique et rafraîchissante à souhait. Miniatures (très petits tirages) fait voyager celui qui regarde à travers le monde, sans exotisme, grâce au regard plein de tendresse et d’humour que porte Pentti Sammallahti sur la faune (les petits animaux) essentiellement, la nature (une nature souvent recouverte de neige) et l’homme, une exposition d’une centaine de photos qui font penser, par leur minimalisme, leur sujet principal et la tonalité du regard à autant de haïkus d’hiver. De très petits formats, donc, sans qu’à aucun moment l’œil ne soit en difficulté tant la qualité des tirages est impressionnante, mais aussi des panoramiques dont Sammallahti est un maître incontesté (très beau clichés pleins d’humanisme).

C’est à une rétrospective passionnante que vous êtes donc invités, suivant Sammallahti au gré de ses pérégrinations dans le monde : de la mer blanche de Solovski en Russie, aux forêts d’Europe Centrale en passant par l’Irlande, la Grèce et la France (Nice, entre autres), jusqu’en Inde, et on en oublie, le regard du photographe se pose sur les chiens, les chats et les oiseaux (mais pas que) et sur la vie quotidienne des humbles, pour en montrer la beauté, la poésie et/ou l’incongruité. Son art du contraste et des nuances de noir et de gris tout autant que son minimalisme quand il photographie le blanc d’un mur, du ciel ou de la neige font de de cette exposition un moment de grâce dont vous sortirez émerveillé et heureux, apaisé et serein. Un seul regret : que cette fois le Musée Charles Nègre ne propose pas à ses usagers un film consacré à l’artiste dont on aurait aimé découvrir la biographie et le travail autrement que par un court texte de présentation de l’exposition qui nous laisse sur notre faim. Exposition à voir absolument si vous êtes de passage dans la ville de Nice ! Il vous reste quatre mois pour ne pas manquer ce rendez-vous essentiel. Et dans une période où le gouvernement, qui reconnaît (enfin) via le discours d’un ministre de la santé annonçant que quoi qu’il fasse (surtout quand on fait n’importe quoi) le bilan va s’alourdir, son impuissance (incompétence ?) face à une situation rendue incontrôlable par un travail de sape qui tend à casser les services publics (hôpitaux vidés de leurs lits et budget de la santé en baisse (!) ), ne sait qu’interdire les plaisirs et les moments de détente, je ne peux que vous conseiller de vous faire du bien (c’est toujours meilleur pour le système immunitaire que de regarder la télévision, d’aller dans une grande surface bondée ou de prendre le métro) en entrant dans le Musée Charles Nègre où, tout comme moi, vous risquez fort de ne pas croiser plus de cinq personnes !

Raconter l’autre et l’ailleurs (1944-1983), Jean-Philippe Charbonnier – Pavillon Populaire Montpellier

Jean-Philippe Charbonnier fait l’objet d’une rétrospective au Pavillon Populaire. C’est une découverte (comme souvent dans ces lieux), l’artiste étant, comme l’annonce le livret de présentation de l’expo, le grand oublié de la photographie humaniste française. Il se met à la photo au début de la seconde guerre mondiale en tant qu’assistant de Sam Lévin, photographe de cinéma de talent. A la sortie de la guerre, il travaille pour Point de vue – Images du monde, Le Dauphiné libéré (reportage sur l’exécution d’un collaborateur qui le fera renoncer à photographier une fois encore la mort d’un homme), Réalités.

La revue Réalités lui donne la possibilité de partir partout dans le monde pour des reportages (Chine, Allemagne, Italie, Angleterre, Canada, Russie, Alaska, Japon, Philippines, Amérique, Maroc, Koweït, Iran, Martinique, Tahiti, Brésil, etc…). Une oeuvre riche et belle se crée progressivement, au coeur de laquelle règne l’être humain, sous forme de portraits bien sûr, mais aussi de personnes photographiées dans leurs différentes activités humaines. L’exposition nous offre donc tout ce travail, qui mérite d’être découvert ou revu pour ceux qui le connaîtraient déjà.

Guy Bourdin, Zoom, Musée de la photographie, Nice

Du 18 octobre au 26 janvier 2020, Guy Bourdin est exposé au Musée de la photographie de Nice, au plus grand bonheur des amateurs de photographie de mode, mais aussi d’art, le photographe français ayant intégré à sa pratique professionnelle pour la revue Vogue Paris (à partir de 1954) et dans les campagnes de publicité des chaussures Charles Jourdan (dans les années soixante-dix) une dimension artistique, et plus particulièrement surréaliste, qui réveilla un domaine devenu tristement conventionnel. Le regard contemporain des amateurs d’arts visuels pourra y voir des procédés datés et des références quelque peu surannées, en somme du déjà-vu. Pourtant, au moment où Bourdin réinvente la photo de mode, il est sans nul doute le premier à se permettre ces pas de côté par rapport à une tradition sans imagination et ce n’est pas sans raison qu’il est encore aujourd’hui, vingt-huit ans après son décès, célébré comme un grand de la photographie, un artiste véritable qui a révolutionné un genre. Les séries « Chapeaux chocs » (humour noir, une femme couverte d’un chapeau à voilette de créateur sous des têtes de vaches mortes, langues pendantes, par exemple) ou Charles Jourdan 1979 (plus d’une dizaine de photos de jambes artificielles de mannequins en plastique chaussées des modèles à photographier et prises dans des paysages anglais) rendent hommage à Man Ray, que Bourdin admirait et qui lui facilita les débuts, et aux peintres surréalistes qu’il aimait tout particulièrement. Mais Bourdin n’est pas un suiveur et s’il s’approprie les codes du surréalisme, c’est pour en faire une marque de fabrique personnelle qui, dans un domaine où l’originalité n’est pas toujours de mise, fait de sa démarche artistique un vrai style qui a su résister à l’épreuve du temps. de ce point de vue, ses clichés peuvent figurer auprès du meilleur de deux autres grands, Richard Avedon et Irving Penn, c’est-à-dire au Panthéon de la photographie de mode.

Les Rencontres de la photographie, un festival à réinventer ?…

Obscuro Barroco, Evangelia Kranioti

Je ne sais pas au juste depuis combien d’années je fréquente le festival des Rencontres de la photographie d’Arles. Toujours est-il que j’y vais chaque été, que pendant longtemps, j’ai attendu avec impatience ce moment où j’allais voir de la photographie, m’en mettre plein les yeux, découvrir de nouveaux artistes, retrouver les grands classiques. Et puis, en 2015, la direction artistique du festival a changé (Sam Stourdzé remplace François Hébel), la fondation privée Luma s’est installée dans le site des ateliers SNCF d’Arles, anciennement lieu central des Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles. Et depuis, sans vouloir faire la fine bouche, le niveau global des expositions a baissé et mon enthousiasme avec. Aux ateliers, là où l’on passait une après-midi héroïque, dans la canicule sans air climatisé, à arpenter les trois ateliers en découvrant, expo après expo, des talents nouveaux de la photographie de reportage d’aujourd’hui, tout en admirant l’architecture des lieux, dans leur jus, et ce n’était pas pour rien dans l’enthousiasme qu’il y avait à supporter ces conditions dantesques, on passe cette année sans s’attarder sur les expositions de la Mécanique Générale : Valérie Belin, Painted ladies, et de Marina Gadonneix, Phénomènes, qui nous laissent hélas indifférents – nous étions quatre visiteurs aux sensibilités variées mais unanimes sur notre ennui – puis, au pas de charge, sur la photo brute (épuisante série de mini-expositions de photographes amateurs : 45 auteurs, 300 photographies, annonce le programme…), puis, sans passion, aux Forges, sur la photographie est-allemande, Corps impatients (les nôtres l’étaient autant !) et dans la plus grande indifférence face à la scénographie « art contemporain » de l’expo Sur Terre. Ouf ! on peut quitter les lieux en jetant un regard critique sur la tour infernale de la Luma.

Il y a bien, à l’espace Van Gogh, une intéressante rétrospective Helen Levitt, et une exposition très réussie consacrée à trois livres de femmes photographes sur les femmes, Unretouched women, il y a bien, à l’Eglise des Frères Prêcheurs, une très belle et angoissante exposition, Datazone, de Philippe Chancel qui nous fait faire un peu de tourisme apocalyptique autour de la planète, mais pour un cinquantième anniversaire du festival qui s’auto-proclame foisonnant, on se dit que le programme est encore moins riche que l’an passé, quand on pensait devoir patienter un an pour assister à un grandiose feu d’artifice. Finissons pour la bonne bouche sur l’Exposition du festival, à la Chapelle Saint-Martin-du-Méjean, celle de la photographe grecque Evangelia Kranioti, une vraie découverte (enfin !), au titre tout aussi poétique que ses photos et ses videos, Les Vivants, les morts et ceux qui sont en mer. Des cadrages stupéfiants, des portraits dans lesquels la photographe fait montre d’une belle empathie pour les exclus (marins, transexuels, prostituées, pauvres de tout poil…) et d’un talent exceptionnel pour photographier le corps dans quelques-uns de ses excès ou dans des mises en scène fulgurantes. On en redemande, tant on a l’impression jusqu’ici de s’ennuyer ferme dans ce 50e opus des Rencontres. Quant à la presse, elle continue de chanter les louanges du festival sur l’air bien connu de « Toujours se réinventer… » – y a-t-il seulement une presse qui exerce un vrai rôle critique à l’égard des Rencontres de la photographie ?

Bien, comme je n’ai pas tout vu cette année, je ferai encore semblant une ou deux journées d’y croire avec elle pour finir cet article pour le moins désenchanté. A très bientôt…