Jean-Philippe Toussaint, L’Urgence et la patience – morceaux choisis 12

« Comme chez tous les grands auteurs, comme dans tous les grands livres, c’est dans des questions de rythme, de dynamique, d’énergie, dans des critères de forme que le livre se joue. La voie avait été ouverte par Flaubert cent ans plus tôt, quand il rêvait d’un livre sur rien (« un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, comme la terre, sans être soutenue, se tient en l’air »). Mais même de ce « rien » flaubertien, comme ultime matière romanesque exploitable, Beckett paraît se méfier. Beckett se méfie des agréments du « rien », comme il se méfie des outils qui pourraient l’exprimer. Beckett ne vise qu’à l’essentiel, dénudant la langue jusqu’à l’os pour approcher une langue inatteignable. S’il choisit d’écrire en français, c’est parce que le français lui apparaît comme une langue où l’on peut écrire sans style, alors que l’anglais offrirait trop d’occasions de virtuosités. Mais il y a, je crois, quelque chose de plus dans l’œuvre de Beckett, quelque chose qui se situe au-delà même du langage. Au-delà du langage, il reste quoi, alors, dans un livre, quand on fait abstraction des personnages et de l’histoire ? Il reste l’auteur, il reste une solitude, une voix, humaine, abandonnée. L’œuvre de Beckett est foncièrement humaine, elle exprime quelque chose qui est du ressort de la vérité humaine la plus pure. » Jean-Philippe Toussaint, L’Urgence et la patience (2012)

3 réflexions sur “Jean-Philippe Toussaint, L’Urgence et la patience – morceaux choisis 12

      1. granmocassin

        Il se dit dans les milieux autorisés que Becket avait initialement intitulé sa pièce « En attendant Killian. » Mais sous la pression de son éditeur il a finit par céder, afin que nous l’attendions encore. Quand à KMB, il est avéré que tout le monde l’appelle Molloy dans le vestiaire parisien…

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