Deus Irae, Philip K. Dick et Roger Zelasny

Monde post-apocalyptique dans lequel les survivants ont muté au point de ne plus avoir grand-chose d’humain, lutte entre deux Eglises, la spécialité de Zelasny, personnages à la K. Dick de camés, tous les ingrédients d’un bon livre de SF sont réunis dans ce bouquin écrit à quatre mains (et quelles mains !). Pour l’Eglise des Serviteurs de la Colère, adorateurs du Deus Irae, dieu de la colère est le seul vrai Dieu. C’est bien sûr Lui qui a déchaîné la foudre atomique sur le monde en guerre, mettant ainsi fin à la troisième guerre mondiale. Quant à l’Eglise chrétienne, elle est devenue minoritaire. Au milieu de tous ces êtres mutants, une personne handicapée, ni bras ni jambes, Tibor McMasters, peintre en quête de son génie, qui se déplace grâce à un étrange engin porteur d’un système extenseur I.C.B.M. et tiré par une vache blanche et noire, une Hollstein figurez-vous, part à la recherche du Deus Irae pour en faire le portrait que l’Eglise lui a commandé. Bien évidemment, les chemins ne sont pas très confortables, pas vraiment carrossables et la voiture à deux roues de Tibor mériterait un peu d’entretien. Plus on s’éloigne de la ville, et plus les mauvaises rencontres risquent de se multiplier : le Grand C. ou l’extension féminine de son extension péripatétique, ce qui ne vaut pas mieux, des mutants de l’espèce des lézards, des rolliers, des coureurs, des mutants taupes, ou encore les insectes, un chasseur, jolie faune des temps d’après. C’est ainsi que de rencontre en rencontre, parfois dangereuses, Tibor mène son odyssée, obligé de se faire dépanner par un autofac détraqué pas commode. Puis il est rejoint par Pete Sands, de l’Eglise chrétienne, et par Jack Schuld, un chasseur, aussi inquiétant que dangereux. L’homme que cherche Tibor, Lufteufel, incarnation du Deus Irae, est aussi celui que cherche Schuld. Les voilà donc qui voyagent ensemble. L’un aura son modèle, l’autre sa proie. S’ils le trouvent, évidemment.

Deus irae se savoure comme un bon livre de SF à l’univers imaginaire riche de surprises toutes plus délirantes les unes que les autres, qui se lit sans souci de quête d’un sens caché, même si le propos sur la religion, le bien et le mal, la nature d’un Dieu humain de la colère peut sans doute laisser supposer que l’effort d’écriture des deux écrivains est allé plus loin que de créer un monde fantastique réussi. Ce dont je me suis grandement satisfait.

Les Tentacules, Rita Indiana

L’action de ce roman se déroule en République Dominicaine, durant trois époques différentes : 2027, 2000 et XVIIe siècle. On ne va pas chercher à résumer l’intrigue de ce texte baroque. Présentons simplement les deux personnages principaux du récit : Acilde, une jeune fille de 2027, qui avant de travailler comme bonne pour une grande prêtresse de la Santeria (Vaudou), « taillait des pipes au Mirador » en se faisant passer pour un jeune garçon. Sa patronne l’a prise en charge et lui vient en aide pour l’aider à sortir de sa condition. Acilde a un projet : acheter, grâce à des moyens illégaux, le Rainbow Bright, une puissante drogue qui permet de changer de sexe sans opération. C’est elle que l’on suit au début du bouquin, avant de faire la rencontre d’Argenis, un jeune artiste du début du XXIe siècle, qui participe à une résidence organisée par un riche couple dont l’objectif majeur est de protéger les récifs coraliens de Sosua.

Nous y sommes. Soudain, c’est l’histoire d’Argenis qui se développe. Durant la résidence, il se met à vivre simultanément en 2000 et au XVIIe siècle, sur un flibustier, auprès d’hommes de mer avec lesquels il se demande ce qu’il fait. Cette immersion dans un monde dont il ignore tout le fait s’interroger sur ce qu’il prend d’abord pour un simple cauchemar. Mais un cauchemar dont il n’est pas si simple de sortir… Puis progressivement, il accepte cette double réalité et parvient tant bien que mal à vivre sur ces deux plans, même s’il se demande s’il n’est pas en train de devenir schizophrène. Bien sûr, à Saint-Domingue, la sorcellerie est active et Argenis se demande aussi s’il n’est pas victime d’un mauvais sort. Qu’importe au fond, l’important est bien dans la capacité de l’auteure à passer d’un monde à l’autre sans transition, dans un zapping permanent et rapide, sans qu’à aucun moment on se lasse de ce jeu de va-et-vient. Par ailleurs, on retrouve dans cette partie de l’intrigue des personnages qui viennent de l’univers dans lequel évolue Acilde au début du texte, soit vingt-sept ans plus tard ! Giorgio Menucci, le mécène qui reçoit des artistes en résidence à domicile, et Nenuco l’ont en effet tous deux croisé(e), ou la croiseront. Quand vers la fin, ce ne sont plus non seulement les personnages d’un même siècle qui se croisent, mais les époques qui s’entrechoquent et leurs héros qui se mêlent dans un réalisme magique très sud-américain, on se dit que Rita Indiana a réussi là, pour ce premier roman, un sacré coup de maître, en mélangeant les genres et les époques avec maestria. Publié chez Rue de l’échiquier, Les tentacules vaut le détour, et sans doute plus qu’une seule lecture. Alors n’hésitez pas à le commander à votre libraire, vous ne serez pas déçu-e-s par le style à part de cette jeune musicienne qui fait ses débuts en littérature avec un texte réjouissant.