
Dans le village côtier d’Anse-à-Fôleur, loin de l’agitation des villes, la fraternité entre les hommes ne semble pas un vain mot, même si un jour déjà lointain, quelque chose comme un jour parfait, deux villas voisines (les belles Jumelles) ont été incendiées avec leurs deux propriétaires, un colonel à la retraite et un homme d’affaires, deux hommes que tout pouvait sembler éloigner mais qui n’en sont pas moins devenus amis et complices en mauvais coups de toute sorte. Mais dès le début du livre, nous sommes dans la voiture de Thomas, qui servira de guide à Anaïse (jeune Occidentale qui est aussi la petite-fille de l’homme d’affaires), venue là pour tenter de retrouver les traces de son père qu’elle a tout juste connu et comprendre ainsi son histoire familiale. Thomas, à qui la démarche de la jeune femme semble sinon vaine, du moins incertaine, lui raconte son île et son village, parle longuement d’un lieu où rares sont les étrangers à venir se perdre, où les habitants sont à l’opposé des deux victimes de l’incendie, deux types qui incarnent la violence et le pouvoir du mal, la prédation sans foi ni loi (à l’image de ceux qui ont corrompu Haïti), où les lois, justement, ne sont pas inflexibles et où le petit monsieur venu de la ville pour enquêter sur l’affaire et trouver un coupable (en vain) ne comprendra pas grand-chose aux gens du cru (il repartira gros-Jean-comme-devant).
Le monologue de Thomas est une sorte d’initiation pour la jeune femme, une façon sans doute d’affranchir l’étrangère en lui présentant un petit monde qu’elle ignore inévitablement et de lui faciliter son arrivée. C’est aussi une façon sans cesse renouvelée chez Trouillot de faire découvrir au lecteur les particularités de l’île de Thaïti, et ce qui fait son originalité, sans doute. Car pas plus qu’Anaïse, les lecteurs étrangers du romancier ne connaissent cette île (alors, le village d’Anse-à-Fôleur !…). Fidèle à ses habitudes (et à une tradition orale qu’il connaît bien et qui revient sans cesse dans ses romans), Trouillot met en oeuvre une parole poétique pour dire son île et son peuple, en finissant par une belle métaphore dans laquelle la peinture est mise sur un pied d’égalité avec l’écriture comme mode d’existence au monde. C’est encore de la belle écriture, c’est encore de la poésie romanesque, dont il semblerait difficile de se lasser. Nous n’en dirons pas plus sur ce très beau roman que nous vous laissons découvrir, car il le mérite sans nul doute.
Sélectionné pour le prix Goncourt 2011, La belle Amour humaine ne l’a pas obtenu, bien sûr, et tout le monde se souvient, bien sûr, du livre qui avait été couronné cette année-là, L’Art français de la guerre, d’Alexis Jenni (dont le modeste auteur de ces humbles lignes avoue qu’il ne l’a pas lu, comme tant d’autres Goncourt, et doute sincèrement qu’on le lise encore douze ans plus tard).









