Samouraï, Fabrice Caro

La littérature considérée comme un art de divertissement, à l’égal de la musique ou du cinéma, cela n’a rien d’une nouveauté. Mais ce type de bouquin – vrai produit de l’édition capitaliste : un livre qui se vend, un livre facile donc, que lecteurs et lectrices auront plaisir à lire parce que pas prise de tête… – est tombé entre nos pattes, posé là obligeamment par un copain qui en parlait avec un petit sourire (en coin ?). C’est un bouquin qui se lit très vite, à coup de petits raids de cinquante pages, c’est torché en quatre fois, soit en deux jours. C’est peut-être ça, un bouquin pas prise de tête, ça se veut drôle, tout est donné, pas de phrases trop complexes, comme la musique qu’on écoute pour rouler sur l’autoroute, ça avance…. Il faut que ça swingue un peu, de l’humour, des gags et des phrases bien senties avec petite blague qu’on pourra facilement ressortir en soirée. Bref, la facilité camarade.

Donc, Samouraï, c’est l’histoire d’un écrivain (qui pourrait éventuellement ressembler à l’auteur du livre, à qui sa nana dit en le plaquant « Tu pourrais pas écrire un roman sérieux ? »), un gars à qui ses voisins demandent de garder leur piscine pendant leur vacances, et que la piscine et l’eau, ça laisse indifférent, mais pas la terrasse sur laquelle il se voit écrire un livre, un gars qui est dans ses fantasmes et qui les écrit. On a le droit à la liste de ses projets de roman sérieux qui se suivent, chapitre après chapitre, aussitôt abandonnés par absence de capacité à s’en tenir au principe de réalité. On a le droit à ses rêves et stratégies de reconquête de son ex, qui l’a largué pour un mec sérieux, un prof de fac spécialisé dans la littérature du XVIe siècle et plus particulièrement dans Ronsard (il l’appelle donc Ronsard). Mais comme ça suffirait pas pour faire un bouquin, il se passe un truc un peu fantastique avec la piscine, avec cerise sur le gâteau en approchant de la fin (un événement qui fait boum). Bref, si on en croit les deux extraits de critiques de quatrième de couverture qui vont donner un coup de main pour la vente, c’est drolatique, cynique, hilarant, etc… (du bon usage des adjectifs qui font vendre…). Si j’en crois ma lecture, c’est du temps perdu. On me dira que les lecteurs et lectrices ont le droit de lire des livres faciles. Oui, ils ont le droit. Que l’auteur a le droit de gagner sa vie en écrivant des trucs de ce genre. oui, il en a le droit. Que Folio a le droit de vendre de la soupe. Oui, et Folio ne s’en prive pas. Next…

Dernier Jour à Budapest, Sandor Marai

Hommage à l’écrivain hongrois Gyula Krüdy, surnommé dans tout le roman Sindbad le marin (du nom du personnage des Mille et une Nuits, que Krüdy utilise dans Sindbad ou la Nostalgie), Dernier Jour à Budapest est un livre qui donne envie de lire et Marai et Krüdy (bel exploit). Comme le titre l’indique, toute l’histoire se déroule à Budapest, et en une journée. Sindbad se lève au petit matin, il n’a plus un sou vaillant, l’électricité a été coupé dans son appartement, il doit acheter une robe pour sa fille (soixante pengös), promet à sa femme de s’en occuper et de rentrer le soir pour le diner. Puis il sort, prend une voiture qui va lui coûter un argent squ’il n’a pas, se fait conduire au café… Une longue balade dans le Budapest des années vingt commence.

Marai ne cache pas son admiration pour Sindbad (Krüdy était une figure de la bohème hongroise, un homme qui aimait sa ville et un écrivain mécompris de ses contemporains, mais un écrivain respecté par ses pairs, l’essentiel aux yeux de Sandor Marai), lui fait faire le tour des cafés et des restaurants qu’il aime, comme pour un dernier adieu (il se rend aussi aux bains, bien évidemment, et va visister les lieux qu’il chérit). C’est également l’occasion pour l’auteur de dire la Hongrie qu’il a aimée, « l’autre Hongrie » comme il le dit, celle qu’il ne retrouve plus que dans les romans de Krüdy et de ses contemporains. Une Hongrie authentique, à l’opposé du visage que veulent en donner les historiens et les politiques, la Hongrie des écrivains (les seuls qui sachent, par la littérature, dire un pays). C’est aussi un livre sur Budapest, la Budapest d’un autre temps, cela va sans dire. C’est donc un livre où prédomine la nostalgie, nostalgie d’un temps perdu, nostalgie d’une capitale (qui a changé), nostalgie d’un pays défiguré, nostalgie des amis disparus… Mais c’est aussi un livre drôle, joyeux, léger dans lequel le personnage principal incarne une époque révolue, un anticonformisme réjouissant et une vraie connaissance de la vie et de ses bonnes choses. La scène durant laquelle Sindbad goûte un vin, dans un des restaurants qu’il affectionne, sous le regard inquiet d’un maître d’hôtel qui attend le verdict du maître comme si sa vie en dépendait est un véritable régal. C’est encore un grand éloge de la littérature (un morceau de bravoure, qui commence à la page 119 et prend page 175, nous narre par le menu toutes les raisons pour lesquelles écrivait Krüdy (mais aussi ce qu’il écrivait), sans susciter un seul moment la lassitude ou l’ennui…), un éloge des écrivains hongrois de la première partie du XXe siècle et de leur façon de vivre qui s’éteindra avec eux. C’est un livre merveilleux, assurément, écrit dans une prose lyrique et poétique, écrit par un maître de la littérature hongroise qu’on cite toujours en disant qu’il fut l’auteur du roman Les Braises. C’est aussi l’auteur de Dernier Jour à Budapest, dont on peut dire sans peur de se tromper qu’il a signé là un véritable chef d’oeuvre.