
Après avoir chroniqué le livre d’entretiens de Richard Gaitet avec Alice Zeniter, nous nous rappelons nous être dit que nous ne lirions sans doute pas le moindre livre de cette autrice. Comme se contredire ou se démentir est un sport qui nous agrée, Toute une moitié du monde nous est tombé entre les paluches et le voilà lu et chroniqué ici. Il s’agit d’un essai littéraire et féministe, peut-on dire pour le présenter en peu de mots. D’un essai féministe sur la littérature ? Peut-être mieux… Les trois citations de journalistes présentées non pas en quatrième de couverture, mais en première, se gardent bien d’évoquer le féminisme du texte et de l’autrice, comme c’est étrange. Le titre est pourtant assez clair. Mais la maison d’édition responsable de cette édition en poche doit considérer qu’il vaut mieux se montrer discret sur le sujet…
Bref, Alice Zeniter s’appuie sur son expérience de lectrice et d’autrice pour traquer, jusque chez elle, la tendance des écrivains à ne pas prendre en considération, dans la liste des personnages de leurs romans, les femmes ou alors d’en faire des personnages limités, comme les hommes ont toujours considéré qu’il était de bon temps de parler des femmes en les réduisant à ce qu’ils pensent qu’elles doivent être. A tel point qu’elle avoue s’être elle-même surprise à n’avoir écrit que des personnages de femmes physiquement belles. Ce à quoi elle a remédié par la suite. Dans le chapitre La Parade virile, elle aborde le thème des écrivains hommes qui écrivent avant tout des « histoires-de-héros-virils-qui font-des-trucs » (Hemingway, mais pas que lui, dans le collimateur…). Bien vu, et assez drôle. Zeniter fait appel au test de Bechdel, à Toni Morrison (amplement, en citant des passages entiers de certains de ses entretiens), à de nombreuses écrivaines (Joan Didion, Virginie Despentes, Anne-Marie Garat, etc…), mais aussi à des écrivains, à des hommes (comment faire autrement ?), elle se livre à une comparaison de Madame Bovary et de L’Amant de lady Chatterley, pour conclure que si elle trouve ces deux livres magnifiques, elle ne considère pas que l’adultère auquel toutes deux se livrent après un « mariage quasiment forcé constitue un horizon désirable », elle voit par ailleurs en Bovary une gourde (et non une féministe ou une femme moderne avant l’heure), elle traque, et il y a de quoi faire, les marques du sexisme dans les livres, mais aussi dans le milieu éditorial (l’expérience du jour ou un éditeur lui reproche sa façon se se fringuer lorsqu’elle assure la promotion de ses bouquins, par exemple). Mais Zeniter s’intéresse aussi à l’écriture, à sa propre démarche, à ses envies de sortir de ce que Sophie Divry appelle le roman as usual, qu’elle ne semble pas capable pour autant de suivre jusqu’au bout, se demande comment raconter autrement… Tout cela est assez stimulant comme le dit un magazine d’actualité de gauche… Concernant la forme de l’essai, elle a décidé de la pervertir, de ne pas en suivre les règles, et ça donne donc un livre plus agréable que la plupart des essais sur la littérature un rien universitaires (une autre façon de dire que beaucoup sont chiants), plus intellectuellement surprenant, mais pas non plus un grand essai sur la littérature, un très bon livre et c’est déjà bien. Un très bon livre qui nous rappelle que la littérature a été longtemps écrite par des hommes et pour les hommes et qu’il est sans doute temps que cela change un peu.






