
La vie de Saint Syméon contée par un scribe qui commence par raconter sa propre jeunesse, l’appel qui va le mener à la foi et l’engagement religieux (au point de devenir évèque), l’éloignant ainsi très tôt de l’amour qu’il éprouve pour Marya, dont la couleur des yeux ne lui importera « désormais pas davantage que le nombre d’écailles du lézard » pour le faire entrer dans le monastère de Téléda, au grand dam de ses parents, de religion copte, qui l’auraient plutôt vu berger. Deux petits chapitres, et puis le véritable projet du livre qu’écrit ce drôle de scribe est enfin révélé : « entreprendre cette vie de Syméon ».
Après La Fonte des glaces, roman léger et plein de fantaisie, qu’on aurait pu croire écrit pour le cinéma ou la télévision tant son ton tient de la comédie, Joël Baqué s’est donc attaché à un thème austère et plus ambitieux, la vie d’un « modèle pour qui cherche Dieu dans la souffrance » (Syméon est le premier stylite, il a vécu au IVe siècle en Syrie). Le personnage principal du roman passe donc la majeure partie de sa vie au sommet d’une colonne (après s’être fait emmurer, puis attacher à un rocher) où il prie Dieu, et il y meurt, pour finir. Il s’agit d’un saint chrétien, qui choisit de mortifier son corps pour clamer au monde son détachement de la vie et son amour du Dieu tout puissant. Autant le dire de suite, si ce roman semble sur la fin tirer à la ligne, le style du poète et romancier niçois est tout à fait à la hauteur de son sujet et on se dit en finissant l’ouvrage, mais aussi pendant sa lecture, qu’on a affaire à un véritable écrivain, dont la progression est spectaculaire.
Théodoret de Cyr, le narrateur de ce roman, nous conte également sa propre vie : il a connu Syméon au temps de sa jeunesse, lors de son arrivée au monastère. Syméon en sera finalement exclu pour péché d’orgueil, ses pratiques religieuses étant vite considérées comme impies. Face à pareille concurrence, le jeune Théodoret choisit une voie plus orthodoxe et devient moine copiste, puis s’élève dans la hiérarchie chrétienne. Le narrateur s’interroge, lui qui admire le saint, mais ne peut s’empêcher de voir dans l’austérité de son ascèse une pratique extrême qui va à l’encontre de la modestie des vrais croyants. Il ne s’agit donc pas d’une hagiographie, vous l’aurez compris. Mais le narrateur ne peut s’empêcher non plus d’admirer celui dont il écrit la Vie, tout en faisant le constat que jamais il n’aurait pu l’imiter. Du saint, il dit : « Toujours, il me précèderait ». Mais, après avoir essayé vainement de l’imiter, après avoir fait le constat que sa foi à lui est sans doute moins puissante, il prend ses distances avec ce modèle qu’on dirait aujourd’hui radicalisé. Il choisit les mots, est tout d’abord copiste (il copie des Vies de saints, bien sûr), avant d’écrire par lui-même. Les deux personnages sont donc deux hommes que presque tout oppose : l’un a fait la démonstration spectaculaire de son mépris de la chair et de la vie, l’autre n’a pas renoncé à tous les plaisirs et l’attrait qu’ont exercé sur lui les mots n’est pas le moindre de ces plaisirs.
La dernière étape après la lecture de ce roman consisterait sans doute pour le lecteur désireux d’aller au bout d’une démarche de connaissance à lire le texte de Théodoret, pas le narrateur du livre de Baqué, mais l’auteur véritable d’une Vie de Syméon que le vrai Théodoret (vous me suivez ?) a consacré au premier des stylites (le vrai Syméon). Suite au prochain épisode ?…
Il me semble que cette collection et cet éditeur te déçoivent moins souvent…
Me trompe-je?
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POL n’est plus ce qu’il était depuis la mort de son fondateur, hélas…
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Ah d’accord. Triste.
Rien n’est éternel en ce bas monde et ce n’est pas Syméon qui va me contredire.
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