Fraudeur, Eugène Savitzkaya

A la recherche de nouveaux littérateurs explorant des contrées en friche ou inédites, nous sommes tombés (par le hasard d’un coup d’oeil dans une boîte à livres) sur cet écrivain dont le nom nous était connu, mais sans avoir encore ouvert un seul de ses livres. Le hasard fait parfois bien les choses, car Fraudeur est un roman étrange, un objet différent, de ceux qui confirment que la littérature et le roman ne sont pas morts (malgré l’inanité des rentrées littéraires françaises qui proposent jusqu’à la nausée des romans enfoncés jusqu’à l’os dans l’ornière de la littérature qui se vend, des objets d’édition à vomir, bref de la MERDE). Il est vrai que l’écriture de Savitskaya semble menée par la danse poétique. Aussi le récit, l’histoire de Fraudeur nous est-elle distillée en discontinu, sans souci de respecter intrigue et chronologie, cohérence (pour le lecteur lambda soucieux de tout comprendre sans effort) et autres repères facilitateurs de lecture façon page-turner, mais avec le souci évident de choyer la langue, de déployer une poésie lumineuse qui anime de toute évidence ce Savitzkaya. Nous serions curieux de savoir combien ça vend, un Savitzkaya. Une évidence, publié chez Minuit, l’auteur y a été accueilli par Jérôme Lindon, un de ces grands éditeurs qui semblent aujourd’hui une espèce en voie de disparition. Un de ces grands messieurs qui osaient prendre le risque de publier des livres qui ne se vendraient peut-être pas si bien, mais de beaux livres. Fraudeur, c’est « l’histoire romancée d’un garçon fraudant la vie comme on fraude l’Etat, la douane, le fisc, l’église ou la couronne. » annonce la quatrième de couve du livre. Voilà qui suffit pour dire quelque chose de l’intrigue (si intrigue il y a…). Il y a une famille, il est question du père, d’une mère qui dort beaucoup, d’un garçon et de ses frères. Tout le reste évoque avec une poésie en prose remarquable la vie à la campagne, la nature et deux ou trois choses encore. Si vous voulez en savoir plus, prenez connaissance de cette écriture merveilleuse.

« Je n’ai jamais tenu de journal, je n’ai rien à dire sur ma vie immédiate. Ça ne m’intéresse pas. Je n’ai pas non plus le sentiment d’écrire de roman. Pour Mentir (1977, le premier), j’avais besoin d’une autre façon d’écrire. Je ne me vois pas bien fignoler une histoire. Je ne vois aucun intérêt à construire quelque chose. Ce qui compte pour moi, c’est de dire au plus juste ce que j’ai vu, compris. Je ne construis pas d’œuvre. Je n’ai pas de temps à perdre en m’appliquant à une forme quelconque. Je ne lis pas ce qui se publie actuellement. » a dit Savitzkaya dans un entretien lisible sur un site consacré à Hervé Guibert, qui était son ami. A la lecture de Fraudeur, on comprend qu’en effet, l’auteur belge se fout bien des genres (on pourrait appeler ça roman poétique ou poésie romanesque ?…), qu’il cherche en effet une autre façon d’écrire (qu’il a de toute évidence trouvée), que « fignoler une histoire » lui importe peu (comme il a raison) et que l’autofiction n’est pas sa tasse de thé (on évite ainsi un genre sans intérêt). Le bonhomme est radical. Sa conception de l’écriture est de celles qui nous intéressent, en ce qu’elle est une recherche d’autre chose (Something else, comme aurait dit Miles Davis). Il faut des écrivains de la sorte, ce sont eux qui font la littérature. Et ce nom reviendra donc dans les chroniques de ce blog. Les écrivains de langue française contemporains et de très grand talent ne sont pas légion en ce XXIe siècle.

Laisser un commentaire