
Une fois n’est pas coutume, on ne crachera pas ici ce soir sur le plaisir de la narration… Car on s’est laissé aller avec délectation à tous les « pièges » auxquels on ne cède que de plus en plus rarement : intrigue acceptée et suivie avec intérêt et son corollaire, sympathy for the devil : les personnages, et même, gâteau sur la cerise : légère déception de couper à un happy end (là, on abuse carrément). Rien d’étonnant à ce que ce roman nous vienne du Chili (Amérique du Sud), on compte là-bas encore quelques très bons écrivains narrateurs, qui aiment (se) nous raconter des histoires, et des histoires qui vous attrapent le lecteur par le bout du nez et vous le font retomber dans l’enfance de la lecture. Pas de honte à ça, qu’on se le dise. On assume de s’être abandonné à un plaisir de plus en plus rare, car les écrivains français qui veulent nous la jouer narrateurs sont si faibles qu’on peut bien se faire un petit bonheur de lecture comme quand on était jeune.
Pourquoi ce roman chilien fonctionne-t-il aussi bien ? D’abord un lieu : la prison. Une prison crédible, sans que le livre nous plonge dans le marasme pour cela. Ensuite l’humour, la drôlerie. Même si les situations sont pour la plupart conformes à la réalité, Ricardo Elias se plaît à camper des personnages sympathiques (pas que…), des situations cocasses (pas que…) et nous embarque dans sa prison où on aurait presque envie d’entrer tant les règles (d’airain) en sont souvent contournées. Enfin, l’originalité du sujet, L’Idée : Lalo, un taulard qui reste la plupart du temps enfermé dans sa cellule et ne profite que rarement des sorties autorisées dans la cour, a le bourdon, il a « besoin d’air » comme il l’avoue à un copain qui s’étonne de le voir dehors. Et il commence à creuser un tunnel depuis sa cellule, sauf que : quand il attaque la terre, il tombe très rapidement sur un os, des ossements, et s’aperçoit qu’il a mis le doigt sur un squelette de dinosaure ! La messe est dite, on continue de creuser (car Lalo a de l’aide) et on sort donc ce squelette entier qu’on « planque » dans la cellule. La bibliothèque de la taule où personne ne va jamais commence à se remplir de types qui s’intéressent soudain à la paléontologie, et même à d’autres domaines proches, s’aperçoivent que lire est un sacré bon truc et les conversations changent, ainsi que la langue. Bref, plutôt que de faire sortir un taulard de sa prison, le tunnel y fait entrer la culture. Il fallait y penser. On décide de reconstituer le squelette, de l’exposer dans la cellule, de faire payer la visite, etc… C’est assez jubilatoire, ça se dévore plus que ça ne se lit, les rebondissements se multiplient, bref, tous les ingrédients d’une très bonne narration sont dans la marmite dans laquelle mijote une sacrée bonne soupe. On ne dira rien de la fin. Mais on laissera la parole à l’auteur, Ricardo Elias, dont il faut espérer que d’autres textes nous parviendront en français, et qui dit qu’il ne voulait pas écrire « un autre bouquin sur les prisons » et a donc choisi « le sarcasme et la parodie » pour que sa prison soit « la somme de toutes les prisons » mais qu’au bout du compte « elle n’en soit aucune ». Pari gagné, publié en France par L’Arbre Vengeur (une maison à découvrir) et traduit par Guillaume Contré (dont nous avons chroniqué le très beau Palais mental que vous trouverez dans les derniers textes sur les romans qu’on a lu ces dernières semaines). Sur un Os ? Allez-y, les amis, mais allez-y ! Y a pas de mal à se faire du bien.