
Le pharmacien de la ville de Taxham, une ville d’Autriche que personne ne connaît, dans laquelle les touristes ne s’arrêtent pas, qui mène une vie de routines, entre sa maison, que sa femme et lui se partagent selon une règle tacite les poussant à passer le moins de temps possible dans les pièces communes, et sa pharmacie où il se rend chaque jour en vélo et où il tâche de faire du mieux possible son travail pour aider à soigner ses concitoyens, ce qui ne l’empêche pas de se livrer à sa passion pour les champignons sur lesquels il ambitionne d’écrire un ouvrage documenté et à la lecture d’épopées médiévales, le pharmacien de la ville de Taxham, donc, fait le choix, alors que sa femme part comme chaque année en vacances sans lui et sans qu’il sache où elle va, emprunte la voiture de madame et roule droit devant lui, sans destination prévue, embarquant dans l’habitacle de la voiture deux étranges convives d’un restaurant où il a mangé, un ancien champion de ski et un poète, direction un village d’Andalousie où l’un des deux hommes doit retrouver sa fille, et les deux parlent, mais comme bien souvent le pharmacien n’a pas les mots… Pour ce qui est de l’ « intrigue » du roman, elle tient en ce court résumé, mais là n’est pas l’essentiel, car comme dans un road-trip, ce qui compte c’est l’errance, les situations qu’elle provoque, et ce qui compte encore plus que tout pour Peter Handke, c’est le traitement poétique de l’écriture du texte et sans doute la métamorphose que va vivre, grâce à ce voyage, le pharmacien de Taxham. Et le lecteur est lui aussi embarqué dans la voiture du pharmacien et il se dit que, décidément, Peter Handke est à peu près capable de tout en écriture, qu’il n’écrit jamais le même livre, que la forme et le fond sont toujours chez lui étroitement liés, qu’il est capable d’un style magnifique, d’idées narratives surprenantes et que Par une Nuit obscure je sortis de ma maison tranquille est une sorte de roman méditatif des plus extraordinaires, que l’exercice est des plus réussis, mais qu’il est préférable pour profiter au mieux de la grâce de cette écriture d’être dans un état de conscience des plus clairs, de ne surtout pas être fatigué par une journée de travail abrutissante, qu’alors dans ce cas-là on trouve un plaisir des plus délicats à lire ce beau roman poétique et que même on en redemande. C’est cela l’effet Peter Handke, chaque fois on se dit qu’on lit peut-être un dernier livre de lui, et chaque fois on termine le livre en se disant qu’on en relira bien un petit supplémentaire, un dernier, pour la route…