Luzzu, Alex Camilleri

Premier film attachant d’un réalisateur maltais, Luzzu, à cheval entre documentaire et fiction, nous présente les derniers jours de travail d’un jeune pêcheur qui a hérité son outil de travail (une barque de pêche traditionnelle) de son père, qui le tenait lui-même de son père, etc… Une panne, une réparation à effectuer sur la proue, une pêche de moins en moins fructueuse, la concurrence écrasante des chalutiers qui épuisent les fonds marins, des lois de pêche stupides qui obligent à rejeter hors période un espadon pourtant mort quand la pêche industrielle ne se prive pas de se livrer au trafic, tout semble pousser les derniers représentants d’une profession en voie de disparition à renoncer à leur activité pour laisser la place aux grandes entreprises et Jesmark Scicluna ne fait pas exception. Il a une compagne qui, comme elle finit par le dire, n’a pas la même conception du travail que lui, un enfant tout juste né dont la croissance n’évolue pas selon les normes médicales et, s’il a bien résisté à la folie du monde moderne pour ne pas se renier, Jesmark va devoir peu à peu renoncer à ses valeurs morales et se livrer à des actions illégales pour compenser les mauvais résultats de la pêche. Tout, dans son environnement, l’y aura poussé : un port en pleine évolution, avec ses symboles d’un monde en pleine évolution et qui se globalise (présence envahissante des porte-conteneurs, des bateaux de pêche industrielle qui remplacent les luzzu), méthodes du milieu (à la criée, les « petits » passent après les « gros », au risque de ne pas vendre le fruit de leur pêche et de devoir faire le tour des restaurants pour essayer de sauver ce qui peut l’être – dans les coulisses, Jesmark voit ce qu’il n’aurait pas dû voir : la vente illicite d’espadon hors période de pêche…), évolution des modes de vie qui semble lui crier qu’il est dépassé, tout, jusqu’à l’Europe, dont la principale raison d’être sur l’île semble bien d’inciter les petits pêcheurs traditionnels à rendre leur luzzu, leur licence, bref leurs armes pour laisser la place libre aux entreprises modernes qui détruisent et épuisent la Méditerranée. A travers le triste destin d’un jeune homme attaché à son île et à ses traditions dépassées, Luzzu donne à voir l’évolution d’un monde où le libéralisme contemporain met au rencard les restes du monde ancien dont on se dit qu’il valait bien mieux que celui-là, dont la violence ne peut, à terme, que se retourner contre l’homme et son environnement. De ce point de vue, ce film a valeur de témoignage et s’ajoute à la longue liste des œuvres cinématographiques qui nous auront alerté sur les méfaits d’un système économique et politique dont, par notre silence et notre inaction, nous sommes tous les complices.

3 réflexions sur “Luzzu, Alex Camilleri

  1. granmocassin

    Une vérité indéniable sans doute.
    ça à l’air bien déprimant. En plus, c’est nous les complices…
    Je dirais plutôt les riches et les puissants, et à Malte ils ont leur lot de millionnaires.
    Désolé de me désolidariser de la dernière phrase de ton par ailleurs très beau compte-rendu.

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    1. Je ne t’en veux pas, mon ami. Je ne sais pas si Luzzu est un film déprimant, car il montre un aspect du monde que nous voudrions parfois oublier, par faiblesse ou par lâcheté. Ou peut-être parce que nous souhaitons rester joyeux et en vie. Va savoir…

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